LES SOLEILS DES INDÉPENDANCES de Ahmadou Kourouma
Analyse personnelle.
Formule introductive.
Il est rare de rencontrer une oeuvre d’art dont la toute première publication offre à son auteur une surprenante célébrité. Pourtant, parmi les écrivains qui ont bénéficié de ce suffrage du grand public, Ahmadou Kourouma figure en bonne place. C’est justement pour comprendre la raison de cet état de fait que je poste cette publication dont l’analyse provient beaucoup moins de ma documentation (celle que tout le monde peut lire sur Google par exemple et à portée de main) que de ma relecture tout à fait personnelle de ce roman considéré comme son chef-d’oeuvre : Les Soleils des indépendances. J’espère que la lecture que vous en ferez, ajoutée à la vôtre du roman et de vos documents glanés ça et là le concernant, vous enrichira davantage…
J’aborderai cette analyse en l’articulant autour de deux axes qui me paraissent majeurs. Ce sera une étude thématique d’une part, observée sous l’angle des personnages en premier lieu et puis du cadre spatio-temporel en second lieu. D’autre part, une étude stylistique passera en revue aussi bien la subversion de la langue française que l’originalité du style narratif.
I. ÉTUDE THÉMATIQUE.
La thématique est l’ensemble des thèmes dont la récurrence suscite comme une obsession dans l’oeuvre d’art ; dans le roman de Kourouma, les personnages ou encore le cadre spatio-temporel peuvent constituer une porte parmi plusieurs pour découvrir, au bout du couloir, une panoplie de thèmes qui structurent le récit.
1. Incarnée par les personnages.
En général, dans une oeuvre d’art, réels ou fictifs, les personnages sont très souvent des porteurs de pensées. Dans le roman de Kourouma, à partir de leur caricature, en les singularisant ou en les catégorisant, il est possible de découvrir, dans leur enveloppe, des thèmes parfois surprenants.
A. Fama et la chefferie.
En malinké, il paraît que »fama » signifie »chef ». Celui-ci est le personnage principal, donc le plus en vue et, surtout, le moteur principal du récit, qu’il soit en amont ou en aval. Mais dans l’oeuvre, est-ce que ce rôle lui est vraiment dévolu ? Il y vit de pitance, en arpentant les ruelles qui conduisent aux lieux où s’organisent les funérailles, pour glaner ça et là quelques menues monnaies ou de maigres richesses que les morts laissent derrière eux : une vraie vie de charognard. Pire encore, Fama Doumbouya risque de ne pas être en mesure de perpétuer sa lignée dynastique puisque sa femme Salimata est stérile. C’est donc le thème de la déchéance (à peu près comme dans Le dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper) que cet antihéros incarne jusqu’à l’os, dans son vécu quotidien comme après sa mort accidentelle.
B. Salimata et la stérilité.
Il s’agit de l’épouse de Fama. Une photographie de surface la présente comme une femme belle à ravir, irrésistible, pétrie de toutes les qualités requises d’une épouse traditionnelle. Pourtant, une observation plus attentive de ses expériences malheureuses de la vie, à cause de sa crédibilité et de son trop-plein de confiance, m’autorise à l’assimiler au sort de l’Afrique généreuse dans sa richesse luxuriante (les ressources naturelles) mais spoliée par des bruts de tout acabit (les colons et les nouveaux dirigeants), dépouillée de ses biens (le vol), meurtrie au plus profond de sa chair (le viol et l’excision). C’est comme, par intertextualité, ce qu’en dit René Depestre dans »Minerai noir »). Pour preuve, c’est pendant la viduité de Mariam (au moment où il avait le plus besoin d’une compagne qui lui assure la transition, le prolongement de la dynastie des Doumbouya) que Fama mourut, comme une Afrique au beau milieu d’un espoir déçu.
C. Les guérisseurs et la croyance.
C’est d’abord Tiécoura et puis Abdoulaye ; le premier est féticheur (croyance animiste), le second, un marabout (croyance religieuse). Tous les deux ont un point commun : la tartufferie. Mais c’est aussi, au-delà de cette dimension de fausse dévotion par laquelle passent ces esprits tordus et malintentionnés, pour aboutir à leur fin, la satisfaction d’un plaisir charnel unilatéral. Menteurs comme des arracheurs de dents, ils constituent le symbole vivant des ennemis de l’extérieur (les Blancs avec leur fallacieuse mission pacificatrice et civilisatrice) comme ceux de l’intérieur agissant en toute impunité (les nouveaux dirigeants africains qui usent et abusent de leur pouvoir autoritaire).
D. Les griots et la tradition.
Ils se résument autour de deux personnages : Balla surtout mais Diamourou aussi. Tous les deux promeuvent la préservation de la culture. Mais on a l’impression que ces détenteurs de la tradition échouent malgré tout l’effort consenti. D’ailleurs, ils n’ont plus autant de considération qu’auparavant ; leur crédibilité est bafouée et leurs prédictions méprisées. Même Fama, mis à part le fait qu’il se sent revigoré chaque fois qu’on loue la valeur de ses ancêtres ou qu’on vante son statut de chef de la dynastie des Doumbouya, est insensible à leurs imprécations. C’est à croire qu’ils baignent tous dans un halo de déchéance culturelle, à cause des indépendances. Finalement (et c’est justement l’objectif de cette entrée en matière par les personnages), le défilé de ces »êtres de papier » dit-on laisse transparaître, en raison de leur statut, de leur rang, de leur position, de leur profession, et même de leur attitude, des thèmes qui structurent l’oeuvre entière et dont le maître-mot est le désenchantement causé par l’arrivée des indépendances.
2. Incarnée par le cadre spatio-temporel.
Cette thématique se distille pareillement dans le temps du récit, aussi bien à travers le climat, dans l’alternance du jour et de la nuit, que dans l’espace, comme le justifie la dichotomie entre la ville et la campagne.
A. Le climat.
C’est, en quelque sorte, l’atmosphère météorologique qui règne dans le roman telle que les précipitations, le vent, la température, la saison… Étonnamment, ce climat géophysique (au sens propre) est toujours en parfaite conformité avec l’atmosphère morale, la condition de vie (au sens figuré) qui, en elle-même justement, donne vie à l’oeuvre. Par exemple, c’est lorsqu’il pleuvait (de fortes précipitations) que le héros peste contre ses ennemis lors des funérailles qu’il quitte sans aucune civilité ; c’est lorsqu’il faisait du vent que Salimata se voit dépouillée de tous ses biens au marché ; c’est en période de forte canicule (chaleur suffocante) que Fama fut incarcéré ; enfin, que la saison corresponde à la sécheresse ou à l’hivernage, rien n’augure de bons auspices, d’amont en aval. Donc le climat est un facteur déterminant dans la thématique du roman : la désolation.
B. La nuit et le jour.
Même l’alternance entre la nuit et le jour suscite cette constante remarque chez le lecteur. Les seules périodes de moindre mal du jour et de la nuit ne se passent à aucun moment dans la capitale mais quelque peu à Togobala, encore que même dans ce soi-disant »havre de paix », si ce ne sont pas les poux et les punaises qui rendent très inconfortable le lit aménagé pour Fama, ce sont les plus noires pensées auxquelles le héros est en proie jusqu’à en perdre le sommeil. En un mot, pendant le jour, le mal, le malheur, la terreur,… sont visibles ; pendant la nuit, ces démons refont surface dans les esprits et deviennent aussi bien imaginaires que presque palpables.
C. La capitale (la ville) et le village (Togobala).
Ce qui rend la capitale absolument homogène, c’est son universalité, comme dans Ville cruelle de Ezza Boto, ou dans Le Vieux Nègre et la médaille de Ferdinand Oyono, ou encore même dans Cercle des Tropiques de Alioum Fantouré… Elle symbolise la capitale de toutes les colonies devenues indépendantes. Si ce n’est pas la violence qui y règne constamment (la grogne du peuple accompagnée de sa répression), c’est la précarité (elle qui pousse Fama à ce qu’on peut considérer comme une vie de charognard : se nourrir des restes d’un mort pour survivre), l’insalubrité (à chaque sortie de Fama), la démagogie (la carte d’identité), la rapacité (le vol des biens de Salimata)… On peut même oser dire que le romancier s’est inspiré de sa propre vie d’alors, sous le prétexte du regard porté par Fama sur les malheureux événements dont il a été témoin, qu’il en soit acteur ou victimaire.
Cependant, cette vie chaotique est à l’opposé de l’atmosphère tranquille qui règne dans Togobala. C’est le seul endroit où Fama trouve de la quiétude, la promesse d’une félicité, un moment de méditation et le rehaussement de son statut précaire. Cet espace symbolise le retour aux sources, la vie d’avant les indépendances, le respect voué aux cultes. C’est pourquoi d’ailleurs Fama a décidé d’y retourner, malgré l’interdiction prophétique et formelle de son griot, pour finir ses jours dans une absolue sérénité à laquelle un mort a droit.
II. ÉTUDE STYLISTIQUE.
La stylistique réunit toutes les particularités esthétiques, rhétoriques ou expressives d’un texte littéraire, c’est-à-dire tout ce qui fait de celui-ci une oeuvre d’art à proprement parler et, de son auteur, un artiste. Dans ce roman de Kourouma, nous assistons comme à une révolution, à une véritable refonte des structures de la langue française tout autant que des articulations du récit.
1. Le »bonnet rouge ».
Dans le passé, surtout dans l’espace scolaire occidental, parmi les sanctions punitives auxquelles le maître soumettait le cancre, on lui faisait porter un bonnet d’âne, symbole de la bêtise. En Afrique, ce »symbole » était un os qu’on attachait au cou de l’élève médiocre, surtout celui qui ne voulait pas s’exprimer en français…
Lorsque Victor Hugo avait osé défier le style classique pour battre en brèches ses nombreuses règles jugées antiques et oppressives pour l’inspiration de l’écrivain modèle, il tançait les pro-classiques en ces termes : « imposer la même technique d’écriture à tout le monde revient à demander à toute l’humanité de porter la même pointure de chaussures ». Il montrait ainsi que son romantisme, c’était du »libéralisme en littérature ». Dans »Réponse à un acte d’accusation » (un poème des Contemplations, I, 7, 1856), Hugo écrit encore :
« Je fis souffler un vent révolutionnaire
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire ».
C’est pratiquement ce »bonnet rouge » qui tient si mal sur la tête de l’Africain, ce »vent révolutionnaire » que Kourouma fait circuler dans l’écriture des Soleils des indépendances. Pas comme Hugo qui se défend en se jetant l’opprobre… Avec son manuscrit sous la main, ce romancier africain se rendit courageusement d’une maison d’édition (en 1968, à Montréal, au Canada où le joual faisait fureur) à l’autre (en 1970, aux éditions du Seuil, à Paris où les censeurs jetèrent l’éponge), jusqu’à voir son oeuvre publiée par les Français dont la langue est si audacieusement tournée en bourrique, aussi bien à travers les néologismes que par la vulgarité de l’expression.
A. Les néologismes.
On appelle néologisme l’emploi d’un mot ou d’une expression dont la forme est soit créée, soit obtenue par déformation, dérivation, composition, emprunt… Toute l’oeuvre de Kourouma en foisonne, de Monné, outrage et défi (en 1990, où il fait sa propre peinture de la période coloniale) à En attendant le vote des bêtes sauvages (en 1999, où il proteste à sa façon, contre les dictateurs africains), sans oublier Allah n’est pas obligé (en 2000, où il parle des guerres civiles qui ont donné naissance à des enfants soldats). Mais au lieu de répertorier ces néologismes, je préfère plutôt en offrir l’interprétation : dans l’oeuvre romanesque qui nous intéresse ici, ce sont des mots ou expressions qui corroborent l’esprit contestataire que, très humblement, j’expliquerai en détail dans les lignes qui suivront…
B. La vulgarité.
Parmi les raisons qui suscitent le rire du lecteur dans Les Soleils des indépendances, on ne peut pas exclure l’abondant langage ordurier. On a l’habitude de reprocher aux rappeurs (comme Niagass ou Simon par exemple) le non usage de la langue de bois et pourtant, ce qu’ils ont l’intention de dévoiler est la vérité. Justement, Kourouma peut ainsi être interprété : »un romancier rappeur » si je peux me permettre l’expression… C’est parce que le style qu’il emploie (très »niagass ‘) colle absolument non seulement avec le langage du peuple mais aussi avec la triste réalité des peuples africains à ce stade de leur histoire. Je me souviens d’ailleurs des propos d’Émile Zola qui, dans sa préface de L’Assommoir (1877), se glorifiait d’avoir été monstrueux à la limite, en osant écrire « une oeuvre de vérité […], le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple ». Au lieu d’être offusqué par la grossièreté des jurons, des insultes ou des expressions vernaculaires comme »gnamo kodé » (sexe de mon père), l’audace des traductions littérales de proverbes et dictons »impoli à flairer comme un bouc les fesses de sa maman », »comme le pet de ma grand mère », »arrogant comme le pénis d’un âne circoncis », »jamais le pet d’une mère ne chassera l’enfant de la case » : on en rigole à gorge déployée. Il y a enfin, à côté de la drôlerie et de l’exacte reproduction du réel, l’expression d’une langue de dominateur qui n’est plus dominatrice par rapport à la langue africaine. Une nouvelle forme d’engagement voit donc le jour sous la plume narquoise de Kourouma. Le langage africain (celui du fils) devient le premier, atteint la suprématie, tandis que le langage occidental (celui du père) se voit à la fois appauvri et enrichi (par un Saint-Esprit) : l’art. Extraordinaire prouesse stylistique !
2. Le style narratif.
La focalisation privilégiée et le sens du titre choisi peuvent servir à étudier le style narratif employé par ce romancier rarement égalé. Je ne manquerai pas de parler du contorsionnisme auquel s’adonne l’artiste pour conduire les éléments constitutifs du schéma narratif de l’oeuvre.
A. La focalisation.
C’est ce qu’on peut appeler le »point de vue ». Certains romanciers préfèrent la focalisation externe, c’est-à-dire lorsque le narrateur est extérieur aux événements qu’il raconte ; d’autres laissent parler un narrateur omniscient puisqu’il est censé connaître le passé, le présent et même l’avenir de l’histoire racontée : il s’agit de la focalisation zéro. D’autres encore, c’est le cas de Kourouma dans Les Soleils des indépendances, jettent leur dévolu sur la focalisation interne : là, les personnages au coeur de l’histoire (Fama est le plus en vue, mais on n’oublie ni Salimata, ni Balla, ni les policiers en faction à la frontière, ni les habitants de Togobala en général) se laissent aller à des élucubrations dont ils sont au centre, en tant que témoins oculaires ou acteurs principaux. C’est le cas quand Fama s’éloigne sans civilités des funérailles de Koné Ibrahima et même quand, au beau milieu de la mosquée, presque tout haut, il se surprend à penser à Salimata »à la senteur de goyave verte », désespérément stérile, en dépit des gris-gris et des incantations dont elle accompagne les étreintes conjugales. Le même cas est arrivé à cette femme lorsqu’elle se remémore certains épisodes douloureux de sa vie et même lorsqu’elle se rend au marché pour en revenir tout en lambeaux à cause de l’agressivité des mendiants envers qui elle témoignait de la condescendance pourtant. Qu’est-ce qui justifie pour Kourouma dans Les Soleils des indépendances, le choix de ce type de point de vue appelé focalisation interne ? Personnellement, je vois deux raisons fondamentales : la première est une tentative de planter le décor de l’univers africain où chaque membre a la parole. Celle-ci est débitée exactement selon l’état d’esprit du locuteur. La deuxième est à chercher dans la réécriture, la réinvention du roman traditionnel occidental trop exigeant, trop »boutonné » quant au respect que le romancier devrait vouer au schéma narratif romanesque. D’où la fréquence des analepses ou flash-back qui mettent situation initiale, éléments perturbateurs, péripéties, résolution et situation finale sens dessus dessous.
B. Le sens du titre choisi.
Beaucoup se posent encore la question de savoir ce qui peut bien justifier le choix du titre… Trois interprétations sont acceptables.
Premièrement, le soleil est le symbole de la naissance d’un nouveau jour qui supplante la nuit, longtemps considérée par les Occidentaux comme une période maléfique. On peut donc supposer que celle-ci correspond à l’époque coloniale où régnait la terreur (travaux forcés, emprisonnements, bastonnades, exécutions sommaires…) remplacée maintenant par un soi-disant moment où la vie paisible reprend ses droits dans toutes les colonies (d’où son emploi au pluriel).
Deuxièmement, l’ironie qui se dégage de la période postcoloniale renvoie également à ce soleil (cette vie heureuse) qui contraste drôlement avec l’arrivée des indépendances qui n’ont apporté aux sujets des nouveaux maîtres que l’impôt (à payer pour les enrichir) et la carte d’identité (à posséder pour les maintenir au pouvoir à chaque nouvelle élection).
Troisièmement enfin, le choix du titre du roman est à mettre en rapport avec l’engagement stylistique de son auteur qui flanque ainsi un soufflet à la langue française. Nombreux étaient les écrivains négro-africains qui éprouvaient cette gêne puisque ni la langue (latine et grecque au départ), ni la religion (catholicisme imposé), ni la littérature (écrite essentiellement) du Blanc n’étaient aptes à transcrire le vécu quotidien de l’homme noir dont le parler (plurilingue), la religion (animiste au départ) et la littérature (essentiellement orale) ne s’y prêtaient point. C’était comme vouloir habiller un paysan d’une chemise trop étroite et lui faire chausser des souliers dont la pointure ne sied qu’à de petits pieds (lisez »Solde » de Léon Gontran Damas – Pigments, ou encore »Le Renégat de David Diop – Coups de pilon) ; de haut en bas, celui-ci risque d’être si mal fagoté qu’il passerait pour ridicule, à l’image d’un clown.
Kourouma, lui, a trouvé la solution ! Il dit lui-même : « Les Soleils des indépendances ont été pensés en malinké et traduits en français […] j’ai planté une case africaine dans la maison de Molière ». Comparaison aussi incongrue que la tente du président Khaddafi (que j’admire cet homme !) plantée au beau milieu du jardin du palais de l’Élysée à Paris ! Kourouma poursuit ainsi : « puisque nous, Africains, nous étions francophones, il nous faut faire notre demeure dans le sol français […] ; nous faire une chambre où nous serons chez nous dans la grande maison qu’est la langue de Molière ».
À présent, tout est plus clair : c’est donc au sein de la langue française que Kourouma écrit. Contrairement aux idées reçues de certains qui pensent que Kourouma ne sait pas écrire, je leur réponds que c’est parce qu’il sait écrire, c’est parce qu’il maîtrise la langue française, qu’il s’est montré capable de s’en moquer si savamment et si éperdument. Un nouveau style, un nouveau souffle, un nouveau soleil, une grosse bouffée d’oxygène venait de gonfler les yeux et les poumons de la génération de Sony Labou Tansi (dans La Vie et demi) de Cheik Aliou Ndao (dans Mbaam dictateur), en passant par Ousmane Sembène (dans Xala) ou encore Alain Mabanckou (dans Verres cassés)… : la »négriture », pour ainsi dire, était née !
Conclusion.
Pour tout dire, Ahmadou Kourouma a emboîté le pas à d’illustres écrivains et ouvert la voie à d’autres encore. Mais jusqu’à présent, après René Maran (dans Batouala, 1921), après Aimé Césaire (dans Cahier d’un Retour au pays natal, 1939), rarement le français n’a été aussi libre et circoncis, si décomplexé et tellement intrépide de la tête au pied ! La dynamique du thème du désenchantement circule dans les veines de tous les personnages, sillonne les moindres recoins des arcanes empruntés par eux que, finalement, comme le livre qui commence par une mort (celle de Koné Ibrahima), ponctuée par une autre (celle de Lacina) et s’achève avec ce même son de cloche (celle de Fama Doumbouya). C’est à en croire que les indépendances sont comme un fruit véreux, un gâteau empoisonné, un cercle vicieux, un piège sans fin.
Issa Laye Diaw
Donneur universel.