INTRODUCTION.
On distingue trois grands genres littéraires : le roman, le théâtre et la poésie. Ce dernier nommé est un art du langage permettant de suggérer, avec harmonie et régularité, une infinité d’images, de sensations, d’état d’âme et d’esprit. C’est un genre qui date de longtemps ; en effet, avant que la poésie ne soit écrite puis récitée en public, elle était d’abord chantée de villes en villes par des aèdes, des bardes, des trouvères, des troubadours… Ce n’est que beaucoup plus tard (au Moyen-âge et surtout pendant la Renaissance) que la poésie a reçu ses lettres de noblesse, qu’elle a commencé à être écrite « comme il faut », de façon plus « boutonnée ».
Pour beaucoup en tout cas, être poète n’est pas donné à n’importe qui car le poème semble dicté par un génie (humain ou divin). Certains iront jusqu’à abolir toute différence entre le poète et le prophète (deux porteurs de messages dont les appellations riment. (Relisez ma publication sur le parnasse, le choix de la poésie plus particulièrement). Mieux encore, dans les textes sacrés, Dieu Lui-même s’adresse à l’humanité par l’intermédiaire de versets (hébraïques, bibliques ou coraniques), une forme textuelle plus ou moins analogue aux vers avec qui ils partagent le même radical. Par conséquent, ils conçoivent l’activité créatrice poétique comme sacrée. Quoi qu’il en soit, on peut lui associer quatre fonctions principales, selon les motivations de chaque poète.
I. LA FONCTION LYRIQUE OU SENTIMENTALE.
Certains artistes ont l’habitude de relater dans leurs écrits des événements relatifs à leur propre vie très souvent liés à leurs peines personnelles. Certains humanistes (Ronsard), des surréalistes (Éluard), des symbolistes (Verlaine) et surtout les romantiques lyriques (Musset) se servent alors du poème comme cadre privilégié d’expression d’un désir, d’un idéal, d’une thérapie contre la souffrance humaine. Siège des sentiments, le coeur devient ainsi la source principale d’une inspiration féconde. C’est une des raisons pour lesquelles Musset s’exclamait : « Ah ! frappe-toi le coeur ! C’est là qu’est le génie ». Cette extériorisation de la peine rend le fardeau de la souffrance moins pesant ; c’est pourquoi Lamartine avouait que, pour lui, s’adonner à la poésie, « ce n’était pas un art, mais un soulagement de mon coeur ». Tant mieux si le lecteur lui-même a vécu l’expérience de toutes ces envies, de ces déceptions inopinées, de ces moments de faiblesse… (Voir ma publication sur le romantisme, précisément le point concernant le lyrisme). Des détracteurs les ont cependant qualifiés d’égoïstes mais certains, à l’instar de Victor Hugo, s’en sont montrés fiers ou s’en sont défendus ; dans sa fameuse préface des Contemplations (1856), il écrit : « ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne… On se plaint quelques fois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ».
II. LA FONCTION DIDACTIQUE OU MORALISTE.
»Didactique » est l’adjectif relatif à tout ce qui se rattache à l’enseignement, à l’éducation. En effet, nombreux sont ceux qui croient fermement qu’un poème est illicite si elle ne prodigue pas de leçons de morale (explicites ou implicites) destinées à instruire les lecteurs avides de connaissances. Les siècles les plus représentatifs de cette orientation à la fois artistique et moraliste sont le XVI ème avec les écrivains de la Renaissance, de l’humanisme, mais aussi et surtout le XVII ème, période pendant laquelle les classiques considèrent comme inutile tout poème qui n’attache aucun prix aux leçons à en tirer. L’assimilation de celles-ci permet ainsi de se prémunir des surprises désagréables dont les trompeurs sont auteurs, parce qu’on a été ignorant, crédule, négligeant. À titre illustratif, Jean de La Fontaine emploie un sous-genre de la poésie appelé la fable, tantôt pour démasquer les hypocrites qui usent de ruse pour parvenir à leurs mesquineries, tantôt pour soigner nos comportements pas très catholiques vis-à-vis de nos semblables. Le fabuliste a écrit lui-même dans la préface de son célèbre recueil apparemment enfantin :
« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes ».
III. LA FONCTION ENGAGÉE OU MILITANTE.
On dit d’un écrivain qu’il est engagé lorsqu’il emploie la plume pour se révéler incapable de rester les yeux fermés ou de garder les bras croisés devant tout ce qui lui paraît injuste, nonobstant les nombreux risques, allant des moindres (censure, rapatriement…) aux pires (exil, emprisonnement, assassinat…). Malheur aux forts qui pensent qu’en bâillonnant le messager, ils étoufferont le message ! Aussi, certains poètes jugent-ils inadéquat de parler de soi alors qu’il y a plus urgent. Ces poètes croient absolument qu’une oeuvre poétique vraiment digne de ce nom doit prendre la défense du peuple composé de classes sociales au bas de l’échelle ou encore de groupes raciaux opprimés. C’est pourquoi Hugo disait : « l’art n’est pas un ornement mais un instrument ». Le poème possède subitement le pouvoir d’une arme qui crache le feu sur les méchants. C’est l’exemple des humanistes pendant les guerres de religion, de romantiques engagés à l’encontre de lois inhumaines ou antidémocratiques, de certains surréalistes opposés à l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, de poètes nègres contestataires du système colonial instauré par le monde occidental. Pour ce dernier cas, dans Cahier d’un retour au pays natal (1939), Aimé Césaire dénonce ouvertement les horreurs de la fallacieuse mission civilisatrice et pacificatrice de la colonisation qui, en réalité, n’est rien d’autre que la prolongation d’un esclavage modernisé qu’on n’a même pas le droit d’appeler »commerce » étant donné qu’il n’est pas du tout équitable : ils apportent (des pacotilles ou des découvertes scientifiques) moins qu’ils n’emportent (des hommes valides ou des matières premières).
IV. LA FONCTION ESTHÉTIQUE OU ORNEMENTALE.
Il y a également des écrivains qui refusent catégoriquement de vouer à la poésie un culte autre que celui de l’art en question, du verbe en particulier. Pour les uns, même si le message (le fond, le contenu, la matière) qui circule dans le poème est important, il passera pour médiocre lorsque la conception (la forme, le contenant, la manière) est négligée.
En tout cas, les classiques en sont persuadés. (voir ma publication sur le classicisme, plus précisément le point sur le respect des règles d’écriture). C’est pour cette raison que Boileau, dans son Art poétique (1674), disait :
« Sans la langue en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain ».
Pour d’autres qui pousseront le bouchon plus loin, la beauté (esthétique et thématique) doit être prioritaire pour le poète, voire exclusivement indépendante de l’utilité du poème. Celui qui est le plus parfait pour eux, c’est celui qui accorde au vers plus de transpiration que d’inspiration. Ces promoteurs de « l’art pour l’art » sont les parnassiens. (Voir ma publication sur le parnasse, plus particulièrement le point sur l’art pour l’art).
Pour d’autres encore, les symbolistes d’abord, les surréalistes plus encore, (voir ma publication relative à ces deux courants littéraires résumés successivement l’un après l’autre), il faut exploiter davantage les ressources de la langue, être même capable de passer par un sujet qui inspire l’horreur, le dégoût car lié à la laideur, pour parvenir à cette beauté presque informe. L’important se situe moins du côté du thème débattu que de celui de la langue bien soignée, renouvelée, enrichie, réinventée.
CONCLUSION.
En un mot, on peut encore et toujours dénombrer à la poésie d’autres vocations à travers par exemple la poésie épique, dramatique, ludique … Toutefois, ces quatre que nous venons d’évoquer sont les plus récurrentes. En outre, la frontière n’est pas aussi étanche qu’on pourrait le croire ; elle est plutôt très poreuse car un seul texte peut bien posséder deux ou plusieurs fonctions à la fois. Donc, bien souvent, le poème est tout à la fois : une pharmacie pour les uns (fonction lyrique ou sentimentale), une salle de classe pour d’autres (fonction didactique ou moraliste), un champ de bataille pour la plupart (fonction engagée ou militante), un musée des Beaux-arts pour certains (fonction esthétique ou ornementale)…
TEXTES POÉTIQUES ILLUSTRATIFS
TEXTE 1 : TEXTE ILLUSTRATIF DE LA POÉSIE LYRIQUE.
L’être humain souffre parfois de maux qu’aucun hôpital ne peut guérir parce que cette douleur éprouvée n’est ni physique, ni palpable… Le 4 septembre 1843, un jeune couple (Charles Vacquerie et Leopoldine Hugo), après seulement sept mois de mariage, se noie accidentellement dans la Seine, célèbre fleuve de France qui traverse Villequier, théâtre de cette mort tragique. Cet événement malheureux s’est produit exactement au beau milieu de la vie de Victor Hugo (1802 – 1885). Ce poète en souffrit énormément car sa fille aînée et lui entretenaient une solide relation à la fois filiale, affectueuse et inspiratrice.
Oh ! Je fus comme fou dans le premier moment,
Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pères, mères, dont l’âme a souffert ma souffrance,
Tout ce que j’éprouvais, l’avez-vous éprouvé ?
Je voulais me briser le front sur le pavé ;
Puis je me révoltais et, par moment, terrible,
Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
Et je n’y croyais pas, et je m’écriais : non !
– Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
Qui font que dans le coeur le désespoir se lève ? –
Il me semblait que tout n’était qu’un affreux rêve,
Qu’elle ne pouvait pas m’avoir ainsi quitté,
Que je l’entendais rire en la chambre à côté,
Que c’était impossible enfin qu’elle fut morte,
Et que j’allais la voir entrer par cette porte !
Oh ! que de fois j’ai dit : silence ! elle a parlé !
Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j’écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute !
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.
TEXTE 2 : TEXTE ILLUSTRATIF DE LA POÉSIE DIDACTIQUE.
Lorsque Jean de La Fontaine fit paraître ses fables, il les avait dédiées au Dauphin (le fils aîné du roi). Comme ce dernier était encore enfant, beaucoup avaient cru au départ que ces petits contes anodins étaient puérils. Pourtant, sous le masque de ces animaux personnifiés, transparaissent nos travers dont le fabuliste invite à se départir.
« Le Lion et le Moucheron »
– Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre !
C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
Pense-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un boeuf est plus puissant que toi :
Je le mène à ma fantaisie.
À peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le Héros.
Dans l’abord, il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du Lion qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son oeil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un Moucheron,
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcèle :
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage se trouve alors à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée ;
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’un est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’au grand péril tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
Jean de La Fontaine, Fables, Livre II, fable IX, 1668.
TEXTE 3 : TEXTE ILLUSTRATIF DE LA POÉSIE ENGAGÉE.
L’Europe avait voulu montrer à l’opinion internationale qu’elle était l’AMIE (Alphabétisation, Médicalisation, Industrialisation, Évangélisation) de l’Afrique. Dans cet extrait entrecoupé, le poète exprime à la fois son esprit contestataire de la colonisation et son élan solidaire à l’endroit de son peuple.
Partir.
Comme il y des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif
Un homme-cafre
Un homme-hindou-de-Calcutta
Un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
L’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
On pouvait à n’importe quel moment
Le saisir, le rouer de coups, le tuer -parfaitement le tuer – sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne […]
Partir…
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais :
« Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai ».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »
Et venant je me dirais à moi-même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… »
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939.
TEXTE 4 : TEXTE ILLUSTRATIF DE LA POÉSIE ESTHÉTIQUE.
Ce dernier texte parle de lui-même : l’auteur est absolument convaincu qu’il y a distance, différence, entre un livre et un ouvrage, comme entre le travail du forgeron et celui de l’orfèvre, ou tout simplement entre la matière (le fond, la source d’inspiration) et la manière (la forme, la conception). Ici, il s’adresse particulièrement aux poètes au beau milieu de leur activité créatrice.
« L’art d’écrire »
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle
Et pour la rattraper, le sens court après elle.
Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir ;
Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt on se noie.
La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Un style si rapide et qui court en rimant
Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Nicolas Boileau, Art poétique, chant I, V. 27-48, 1674.
Issa Laye Diaw
Donneur universel