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L’éducation bienveillante : un nouveau dogme éducatif

La bienveillance pourrait bien signifier l’attention, la compassion. On l’attend beaucoup du personnel qui travaille dans le « care », dont le personnel soignant chargé d’une tâche très singulière : s’occuper d’êtres humains. Normalement, ce personnel doit faire preuve de sollicitude, d’empathie vers les gens dont ils ont la charge. Il s’agit toujours de se soucier de l’autre, de rassurer, d’être bienveillant à l’endroit de tous, surtout des personnes vulnérables (enfants, vieillards, handicapés, victimes…). Cette bienveillance a gagné bien d’autres sphères que celui du soin : c’est devenu un mot d’ordre dans l’enseignement, le management, et même en politique, rappelle, Jean François Dortier, dans un article de la revue sciences Humaines (N°297, Juin 2017), Empathie et bienveillance, révolution ou effet de mode.

En matière d’éducation, l’appel à la bienveillance concerne autant les parents que l’institution scolaire. En France, le ministre de l’éducation nationale a publié en 2014 un guide, Une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves, à destination des équipes éducatives afin de promouvoir « une politique éducative globale visant à établir un climat scolaire serein ». Concrètement, il s’agit d’une invite adressée au personnel enseignant à repérer les signes de mal-être, à éviter les réprobations humiliantes, à enseigner le respect réciproque.

Ces exigences socio-éducatives sont en phase de se démocratiser : elles doivent s’imposer à tous les systèmes éducatifs, surtout ceux à problèmes dans des sociétés en crise. L’éducation bienveillante, constitue une réponse aux enjeux sociaux, surtout que l’éducation des enfants passe par l’apprentissage « du vivre ensemble » et du respect de l’autre. Et la société sénégalaise, traversée par une crise multiforme, des séries de scandales, dont celle qui a récemment secoué notre école, en a bien besoin.

Récemment dans un article intitulé Fraudes tricheries, taux d’échec élevé : le mal est  dans la société, j’attirais l’attention en précisant que notre école est plus malade de la société que la société  n’est malade de son école et qu’il y a une crise de confiance entre l’école et la société, entre les acteurs en particulier. Ce que d’ailleurs le doyen Djibril Seck, inspecteur de l’éducation à la retraite, ex directeur des études de l’EFI de Louga, semble lui aussi confirmer. Il notait à juste titre : Aujourd’hui, l’école sénégalaise telle qu’elle se dessine, semble être le carrefour de toutes les angoisses : celle des parents, qui y envoient ceux qu’ils ont de plus chers leurs enfants, avec des sentiments mitigés d’espoir et de scepticisme, ensuite celle des enfants, qui y vont sans percevoir à quelle fin ils le font, et enfin, celle des enseignants dubitatifs quant à l’efficacité de leur action pédagogique.

Pour nous, au Sénégal, les défis sont nombreux : malgré les investissements, nous pouvons tous constater des problèmes liés à l’accès, au maintien, à la scolarisation, au décrochage scolaire, aux nombreuses perturbations liées aux grèves des enseignants, aux résultats catastrophiques enregistrées ces dernières années aux différents examens du BFEM et du Baccalauréat, à l’indiscipline à l’école.

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On considère comme des actes d’indiscipline, les actions, mots attitudes, gestes et réactions qui contrarient les normes disciplinaires en vigueur dans un centre d’enseignement, ou qui représentent une atteinte à la morale, à l’autorité, à l’ordre, à l’esprit et aux traditions de l’institution. Cela renvoie, aussi, à ce que ce que les anglo-saxons désignent par le « schoolbullying » c’est-à-dire un harcèlement fait de brutalités, d’insultes quotidiennes, un sujet largement traité par Eric Debardieux de l’université de Bordeaux.

Pour être honnête, la violence est quasi présente dans l’espace scolaire. Officiellement le châtiment corporel est interdit dans les écoles mais il reste un « instrument pédagogique » pour certains enseignants qui le jugent efficace et en phase avec les traditions de socialisation.  En dépit de la multiplication des initiatives pédagogiques ou des réformes scolaires impliquant une remise en cause de la gestion autoritaire des rapports entre les enseignants et leurs élèves, ainsi que des pratiques violentes inhérentes aux rapports éducatifs, la relation pédagogique demeure encore autoritaire et violente. Malgré tout le discours de mobilisation pour la cause des enfants, les dispositions pour la vie scolaire, les élèves continuent de souffrir le martyr dans les classes. Et certains enseignants reconnaissent recourir encore à la cravache ou porter des coups de règle sur la tête des potaches, sans oublier les appréciations humiliantes.

Et il suffit de les interroger sur leurs comportements pour comprendre que leurs victimes sont pour la plupart des élèves en difficultés scolaires considérés à tort comme des cancres dont il ne faut rien attendre. Oubliant, ainsi, qu’ils ont affaire à « des enfants à problèmes », à l’avenir inquiétant, à la marginalisation annoncée, qui ont besoin d’un programme d’accompagnement personnalisé (PAP) ; que c’est dans leur rôle d’aider ces enfants qu’ils ne doivent pas, par souci d’équité, ignorer. L’enseignant doit surtout valoriser les élèves en difficultés : la réussite d’un élève dépend de ses compétences et aussi de sa confiance en ses capacités d’apprentissages. Il ne doit pas perdre l’estime de lui-même.

 

Pour toutes ces raisons, on a besoin de promouvoir une école bienveillante, où les apprenants seront moins angoissés face à des professionnels qui les rassurent, des éducateurs qui ont compris et intégré dans leur pratique pédagogique la centralité de l’enfant. Un principe, que le philosophe et pédagogue américain, John Dewey, a eu le mérite de préciser lorsqu’ il écrit : « l’enfant est le point de départ, le centre, le but. L’idéal, c’est son développement, sa croissance. Cela seul fournit une méthode pédagogique. Toutes les études doivent être les servantes de cette croissance ; elles ne valent que comme instrument de ce développement. ». (Dewey (J). L’école et l’enfant. Paris : Delachaux et Niestle, 1962, p.95).

John Dewey insistait beaucoup sur l’esprit républicain des enseignants pour l’atteinte des objectifs sociopolitiques de l’école, surtout que l’enseignant serait d’abord un citoyen, et c’est à partir de cette citoyenneté préalable qu’ils pourraient dispenser une instruction et une éducation civiques.

Inutile de rappeler que les enfants recyclent les principes que leur inculquent les adultes au quotidien : ils développent leurs propres opinions en s’inspirant des normes transmises par leur parent ou à l’école.  L’enseignant, par exemple, ne peut pas exiger l’assiduité, la ponctualité, si lui il n’est jamais à l’heure ; s’il n’est pas juste avec ses élèves, il n’arrivera jamais à leur inculquer des valeurs de respect, de justice, d’égalité indispensables dans une société démocratique et égalitaire où est censé évoluer le futur citoyen qu’il doit former aussi.

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L’éducation bienveillante, qui privilégie la négociation avec les enfants, entend prouver que l’éradication de la violence éducative est bien possible. Il suffit juste que les acteurs soient dans les dispositions, surtout mes collègues, enseignants craie en main, qui doivent arrêter de penser que toutes ces reformes, dont celle en vigueur l’approche par les compétences (APC), leur application serait utopique dans nos salles de classe et abris provisoires. Aucune excuse ne suffirait pour ne pas faire attention aux modèles qui marchent à l’étranger, de s’inspirer de systèmes scolaires plus efficaces, de tendre vers une école bienveillante, la nouvelle panacée éducative.

Bira Sall

Professeur de Philosophie au Lycée Ababacar sy de Tivaouane, Chercheur en Education, Spécialiste Petite Enfance.

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