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Etat de la mise en œuvre des accords : le Gouvernement s’emmêle les pinceaux (Par Mamadou Lamine DIANTE)

Etat de la mise en œuvre des accords : le Gouvernement s’emmêle les pinceaux
La grève des enseignants du Sénégal s’intensifie et enjambe les congés de Pâques et de quinzaine de la jeunesse, avec son corollaire de manifestations d’élèves sur toute l’étendue du territoire national. Pendant ce temps, le Gouvernement du Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne n’a trouvé mieux que de se fendre dans un communiqué sous la forme d’une « fiche de mise en œuvre des accords », élaborée par la Direction générale du budget, du Ministère de l’économie, des finances et du plan (MEFP). Naturellement, le quotidien « gouvernemental », Le Soleil, publie in extenso le « document qui retrace l’état d’exécution des accords entre l’Etat et les syndicats d’enseignants », dans sa livraison N°14346 du mercredi 21 mars 2018. A la même date, le quotidien L’Obs., N°4347, en publiant aussi intégralement le « document officiel », s’en donne à cœur-joie en titrant pompeusement : « Mise en œuvre des accords Etat/Enseignants : Macky Sall a versé 285 milliards FCfa aux enseignants ». N’est-ce pas suffisant pour deviner les motivations qui sous-tendent une telle démarche ? Assurément !
En notre qualité de Coordonnateur du Grand cadre des syndicats de l’enseignement (GCSE) d’alors, principal artisan des négociations ayant abouti au protocole d’accord du 17 février 2014 et du suivi de leur mise en œuvre, nous nous réservons le droit de donner notre version des faits, par devoir de vérité à l’endroit des honnêtes et braves enseignants qui nous ont investi de leur confiance durant toutes ces années. L’exercice a consisté pour nous, à lire entre les lignes dudit document afin de relever, au moyen d’un ‟Bic rouge”, les confusions et autres contre-authenticités contenues dans la « fiche de mise en œuvre des accords », ainsi qu’une intention inavouée du Gouvernement.
Des confusions sur les mises en solde
Selon les deux quotidiens qui l’ont repris, le document gouvernemental indique : « Il importe de noter qu’entre 2015 et maintenant, des efforts sans cesse croissants, ont été faits par le Gouvernement, et particulièrement par le MEFP, pour satisfaire les syndicats d’enseignants, notamment le doublement à 10.000 des prises en compte de professeurs et maîtres contractuels (PC et MC) et le paiement des rappels». Dans un cadre conceptuel, on retiendra que l’appellation de « prises en compte des PC et MC » du MEFP équivaut à ce que le Protocole d’accord du 17 février 2014 et le Procès-verbal de la rencontre du 30 avril 2015 entre le Premier ministre et le Grand cadre, désignent sous le vocable de « mises en solde ». A ce sujet, le Gouvernement soutient que « sur une prévision de 4 000 entrées dans la LFI (loi de finances initiale 2015), un effectif de 4 210 prises en compte a été réalisé », soit 105,25%. Alors que pour la même année, Mme le ministre de la Fonction publique nous parlait de 5 000 mises en solde prévues dans le budget, soit 84,2%. Qui dit vrai ? En tous cas, il convient de préciser que la mise en solde d’agents de la Fonction publique est une prestation régulière dans une administration normale. D’ailleurs, elle n’a jamais fait l’objet de revendication des enseignants. Celle qui a fait l’objet d’accord est intitulée « lenteurs dans la délivrance des actes administratifs, de la mise en solde et du paiement des rappels » (cf. point n°4 du Protocole du 17 février 2014, page 6). C’est donc, la fin des lenteurs dans les mises en solde qui était réclamée. C’est très clair ! Et, le gouvernement l’avait tellement bien compris qu’il avait promis une mesure dont l’effet serait de juguler ces paresses administratives, notamment : « Par arrêté du Premier ministre, il est créé un guichet unique trimestriel » (cf. Protocole du 17 février 2014). Hélas, rien n’y fait, en attestent les nombreuses « opérations coup-de-poing » que la Direction générale de la Fonction publique (DGFP) et la Direction de la solde (DSPRV) étaient obligées de réaliser en 2015 et en 2016. A notre avis, c’est pour éviter d’ailleurs l’accumulation de milliers de dossiers, avec comme conséquence des reports sur budget, que M. le Président de la République a décrété le doublement du quota annuel des 5 000 mises en solde, lors de son adresse à la nation du 03 avril 2016. Ainsi, « au 31 décembre 2016, un effectif de 10 731 agents PC et MC avait été mis en solde », soit un taux de réalisation de 107,31%. Mais, en 2017, le naturel revient au galop : la mise en solde n’a concerné qu’«un effectif de 8 228 agents », soit un taux de réalisation de 82,28%. Toutefois, le problème avec ces mises en solde, concerne les chiffres qui donnent le tournis au lecteur. En effet, dans le même document, on lit d’une part « le coût annuel de la prise en compte de ces entrées a été de 16.183.577.791 FCFA» (en 2017) ; et d’autre part « la prise en compte des enseignants dans la masse salariale induit un coût relatif aux alignements dans le nouveau corps, différentiel comptabilisé à 1.619.857.571 FCFA ». En réalité, c’est cette deuxième assertion qui est vraie. Car la mise en solde d’un enseignant contractuel qui percevait déjà un salaire mensuel, ne coûte à l’Etat que le « différentiel » évoqué. Bizarrement, le document persiste en notant que : « l’impact de la prise en compte des intégrations de PC et MC de 2012 à 2017 fait au total 174,5 milliards ». Autrement dit, si on retranche de ce montant les 16,184 milliards pour les mises en solde de 2017, il va rester 158,316 milliards FCFA. 
Pour éviter de nous perdre dans ce tourbillon des chiffres, nous allons ‟poser les opérations” : si 16,184 milliards ont servi à la mise en solde de 8228 MC et PC en 2017 alors 158,316 milliards allaient assurer la mise en solde à 80.489 MC et PC entre 2012 et 2016, or le même document ne fait état que de 44.835 moins 8.228 (2017), soit 36.607 MC et PC mis en solde durant cette période. Sous un autre angle, on peut admettre que s’il faut 16,184 milliards pour mettre en solde 8.228 MC et PC, alors 72 milliards auraient suffi pour mettre en solde 36.607 agents. D’où sortent donc les 102,5 milliards supplémentaires ? S’agit-il d’une exagération dans le seul but de stigmatiser et de diaboliser les enseignants ? Nous préférons donner notre langue au chat du gouvernement. 
Des contre-authenticités sur la validation et sur les rappels
Les autres points d’accord cités par le document n’ont pas été mis en œuvre en 2015. Il s’agit, notamment : 1- de la « validation aux 2/3 » qui n’a fait que l’objet d’une évaluation financière estimée à 26,4 milliards ; 2- de l’ « octroi d’indemnité aux Inspecteurs de la Jeunesse et des Sports » (dans le but de les aligner sur leurs homologues de l’enseignement) qui n’a fait que l’objet de la publication du décret n° 2015-276 du 04 mars 2015 ; 3- de la « régularisation des surimpositions pour les reclassés de 2006 » qui n’est rien d’autre que la correction des erreurs de calcul commises par des agents de la Direction de la solde ; et 4- de l’ « annulation, à titre gracieux et exceptionnel, de retenues opérées sur les salaires » qui n’est qu’une justice partiellement rendue dans la mesure où les heures de grève ont été compensées par un réaménagement du calendrier scolaire et une prolongation de l’année jusqu’au 07 août 2015.
Concernant la validation, la « lettre n°1897/MEFP/DGF/DSPRV du 27 février 2015 » renseigne justement qu’elle « était chiffrée à 26,4 milliards et notifiée au Ministre chargé de la Fonction publique », et non 32 à 34 milliards comme on nous le faisait croire, à savoir 5 à 8 milliards pour l’alignement et 26,4 milliards pour les seuls rappels de validation. Ce qui justifie d’ailleurs la décision du Président, lors du déjeuner à nous offert le samedi 10 octobre 2015, de ne payer que le 1/3 des rappels de validation aux ayant-droit, soit 8,8 milliards en 2017 et 2018, c’est-à-dire 4,4 milliards par an, au titre des rappels de validation.
Pour les rappels, il convient de préciser que le gouvernement avait gelé leur paiement de 2012 à 2015. Ainsi, le document du Gouvernement d’indiquer qu’« en ce qui concerne le paiement des rappels aux enseignants, un montant de 23,9 milliards a été payé (en 2016)…. par rapport à une cible de 24 milliards, soit un taux de réalisation de 99,72% ». Mais, il s’agit là d’une affirmation difficilement recevable, car lors de la session de revue des accords des 9 et 10 mars et de la rencontre du 18 avril 2016, sous l’égide du Haut conseil du dialogue social, le MEFP avait informé que le stock « est évalué à 16, 2 milliards pour les rappels d’intégration et à 8 milliards pour les rappels d’avancement, au 22 janvier ». Puis, il s’est empressé de préciser que sur ces 24,2 milliards, « le paiement de tous les rappels est plafonné à 14 milliards » pour l’exercice 2016, plafond qui n’a d’ailleurs pas du tout été atteint. Même si cela s’avérait, en quoi le paiement de dettes aux enseignants constitue-t-elle « des efforts sans cesse croissant pour satisfaire les syndicats d’enseignants » ? Comprendra qui pourra ! 
Toujours est-il que la même situation risque de se répéter, ou alors elle pourrait même s’empirer. Car, au moment où le gouvernement reconnait que « les rappels d’intégration ordonnancés au titre du mois de janvier 2018 se sont arrêtés à la série 678xxx », les nouveaux matricules émis en fin février 2018 sont à la série 709xxx. Et c’est à ce même moment que le gouvernement projette, « pour l’apurement du stock de 75 milliards (évalués en fin 2017), de payer 32 milliards en 2018 ; 22,5 milliards en 2019 et 22,5 en 2020 ». Comme qui dirait, les mêmes causes produiraient alors nécessairement les mêmes effets.
Et une tentative de se soustraire à la « question nodale » de l’indemnité de logement
En soutenant courageusement que « Macky Sall a versé 285 milliards aux enseignants », le quotidien L’Obs. tente de faire croire aux sénégalais que la mise en œuvre des accords signés avec les syndicats d’enseignants aurait coûté à l’Etat 47,5 milliards par an, de mars 2012 à février 2018. Dommage, la farce est trop grosse. En outre, les sénégalais attachent du prix à la vérité.
Le Premier ministre semble conforter son gouvernement, en soutenant : « sur une plateforme de 32 points, seuls deux points sont encore sur la table ; tout le reste a été réglé » (cf. émission Grand jury, Rfm du 25 mars 2018). Malheureusement pour nous, il n’a pas cité ces deux points – ce qui était plus facile à faire – et l’animateur de l’émission non plus ne le lui a pas demandé. Heureusement pour lui, parce qu’il le sait, les enseignants le savent et Dieu sait !
Interpelé sur la question de l’indemnité de logement des enseignants, il dit : « le chef de l’Etat a déjà décidé d’une revalorisation de 25%, c’est l’engagement au plan budgétaire ». Non sans indiquer auparavant qu’« Il (ne) faut pas se focaliser sur le problème de telle ou telle indemnité qui est sollicitée par les enseignants ; le problème c’est le passif, ce que le chef de l’Etat a trouvé », pour faire allusion aux lenteurs administratives. Et de trancher : « voilà les vrais problèmes auxquels nous souhaitons apporter des réponses ». Pour conclure sur ce qu’il est convenu d’appeler la « question nodale », Monsieur le Premier ministre achève : « c’est aujourd’hui la limite dans le cadre du cadrage » (cf. Rfm du 25 mars 2018). Reste à savoir si les enseignants vont accepter que la messe soit dite de sitôt. 
Notre conviction est qu’il ne sert à rien de vouloir perdurer dans les acrobaties ou de continuer à jouer les prolongations. Après plusieurs reports, au prétexte d’une étude sur le système de rémunération des agents de l’Etat, la « question nodale » de l’indemnité de logement, selon les propres termes du porte-parole du Gouvernement, est arrivée à maturité. Il faut la régler, ou la régler ! Il n’y a pas d’autre choix.
La logique de « je vous donne une fois, et basta ! » ne peut tenir. De même, les tentatives de règlement sectoriel de la question ne sont non seulement pas viables, mais aussi elles nous conduiraient fatalement dans les mêmes travers que par le passé. Il faut, donc, pour une fois aller dans le sens de respecter la directive de M. le Premier ministre, qui indique qu’ « après les résultats définitifs de l’étude, le Gouvernement entamera des négociations globales et sectorielles avec les partenaires sociaux ». (cf. 7. Régime indemnitaire, 4ème tiret, PV de la rencontre du 30 avril 2015). Ce conclave qui réunira les citoyens-producteurs de la croissance (travailleurs) et les citoyens-gestionnaires de cette croissance (gouvernants) est un impératif catégorique. Il permettrait, à la fois, d’endiguer les différents mouvements d’humeur dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la justice, etc. ; et de construire à terme une paix sociale durable. Eh oui, il y a des moments de la vie des nations qui appellent des sacrifices et des renonciations de part et d’autre, pour l’intérêt supérieur du pays. Cette exigence brave toute velléité de préservation, encore moins de confiscation, d’un quelconque privilège ou avantage. Comme le dirait l’autre : la paix sociale n’a pas de prix, mais elle a un coût ! 
Mamadou Lamine DIANTE
SG Honoraire du SAEMSS
Président d’honneur du Grand Cadre

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