Une des problématiques au cœur des organisations est le financement. La méthode classiquement recherchée est celle par les banques ou autres organismes de crédit et à défaut, les subventions, notamment celles de l’État. Cependant, nous évoluons dans un environnement dans lequel le système bancaire est très peu développé et n’a pas encore été intégré dans la psychologie sociale. Pourtant il n’en existerait pas moins des alternatives fondées sur notre culture qu’il serait intéressant d’explorer. En effet, nous évoluons dans un environnement dont la culture est basée sur le communautarisme. Partant de là, certaines alternatives de financement tel que le crowdfunding, financement participatif, sont envisageables et ont d’une certaine manière déjà fait leur preuve. Nous avons pu constater l’efficacité de cette méthode surtout dans les œuvres sociales et caritatives durant lesquelles les petites contributions d’une multitude sont rassemblées afin de réaliser de grandes choses. Souvent utilisé de façon ponctuelle afin de mener une cause (soutien, frais médicaux pour des urgences, levée de fonds sur les réseaux,…), certaines organisations ont pu l’intégrer dans leur fonctionnement en prouvant ainsi l’efficacité. Un des exemples les plus patent est celui de Touba Ca Kanam qui depuis 2017 réussi à mobiliser des sommes colossales afin d’effectuer les investissements qui sont son objet et ce essentiellement à travers un système de donations régulières. Cependant, bien que ces alternatives seraient intéressantes à exploiter pour les organisations à but non lucratif ou à visée sociale, elles sembleraient assez ardues à adapter pour les entreprises et sociétés commerciales.
Concernant les organisations premièrement citées, le modèle de Touba Ca Kanam est tout indiqué : rassembler les masses autour d’un but commun avec des objectifs ponctuels et des participations accessibles à tous et qui s’inscrivent dans la durée. Quant au deuxième type d’organisation, malgré les apparences, il est bien possible d’adapter le système de financement. Par exemple, il est possible, au lieu de recourir à un emprunt classique, de faire une levée de fond dans son entourage ou alors de façon publique. Deux cas de figure peuvent être envisagés selon que les fonds levés entrent en capital ou en dette.
Dans le cas où les fonds entrent dans le capital, les apporteurs seront considérés comme des associés. Il sera possible de mettre en place un système d’apports basé sur des cotisations à intervalle régulier sur une période donnée jusqu’à atteinte de la somme requise. Afin de protéger les intérêts de toutes les parties, il est nécessaire de procéder à une réorganisation des parts et de l’assemblée générale. Les associés fondateurs peuvent constituer le noyau directeur de l’entité. Ainsi, les droits de vote leur seront attribués et les apporteurs auront droit de véto dans une certaine mesure en tout ce qui concerne l’orientation stratégique. En ce qui concerne les droits au bénéfice, selon les modalités d’accord choisies entre les parties, une clé de répartition est définie pour assurer la rémunération des parts. Par exemple, il peut être défini que 30% des dividendes reviennent aux associés fondateurs qui se les partagent au prorata de leur apport et les 70% restants aux apporteurs associés qui se les partagent de même. Il peut même être inclus un processus de rachat des parts une le capital investi par les apporteurs totalement amorti. Bien entendu, tout ceci devra être encadré par une législation rigoureuse.
Dans le cas où les fonds levés entrent dans l’entreprise sous forme de dettes à long ou moyen terme, le même principe de cotisation échelonné peut être envisagé. Il appartiendra juste à l’entité de définir au préalable le terme des cotisations et le délai de remboursement ainsi que toutes les autres modalités. Encore une fois, le processus devra bien être encadré par la législation. Dans tous les cas, que ce soit dans le cadre des organisations à but non lucratives ou les entreprises et sociétés commerciales, il sera nécessaire de mettre l’accent sur la communication financière de l’entité. En effet, il se trouvera un nombre conséquent de parties prenantes ayant intérêts dans les états financiers de l’entité. De plus, avec ce type de système, l’entité devra porter un soin particulier à son image car le système est basé fortement sur l’intuitu personae qui entre l’entité et ses investisseurs et potentiels investisseurs.
Il est à noter que pour intégrer ce type de solutions dans notre environnement, il est nécessaire de mettre à jour notre cadre juridique et fiscal afin de le rendre plus conforme à nos réalités socio-économique. Au-delà de ces perspectives à exploiter, ce cadre actuellement en déphasage avec les réalités locales constitue un obstacle de taille à l’épanouissement de nos agents économiques mais surtout à l’intégration de nos entreprises locales aux modèles économiques peu orthodoxes. Parmi ces modèles peu orthodoxes, nous pouvons en citer deux particulièrement remarquables : le modèle dit « baol-baol » et celui dit « njambur-njambur ».
Dans le modèle dit « baol-baol », un individu met en place son activité. Afin d’assurer sa croissance, il engage les personnes de son entourage, essentiellement sa famille. Ainsi il obtient une main d’œuvre à moindre coût. Par ailleurs, il se positionne en chef de famille et assure les besoins de tout le monde. De ce fait, les dits « employés » se retrouvent avec peu de charges personnelles. Lorsque l’activité atteint un certain seuil, il développe de nouvelle branches et en confie la gestion aux proches qui étaient ses employés. Les branches sont liées de sorte à ce qu’elles aient chacune une certaine autonomie malgré leur appartenance à la même personne. Les gérants de ces branches, grâce à l’autonomie qui leur est accordée et à leurs avantages, réussissent à eux-mêmes créer des branches indépendantes pour au final créer leur propre activité et à leur tour initier un autre processus. Ainsi le premier initiateur voit son activité fleurir et ses employés en font de même et deviennent des associés formant ainsi un écosystème d’entreprises.
Quant au modèle dit « njambur-njambur » il démarre de la même manière à la différence qu’arrivé au moment d’étendre son activité, l’initiateur effectue tous les investissements inhérents à la nouvelle branche puis la confie à son proche. Ce dernier, une fois qu’il a rentabilisé et remboursé le capital investi en devient le propriétaire et à son tour répète le processus.
Malheureusement, tous ces modèles économiques qui ont fait leurs preuves restent pour la plupart dans le secteur informel ou alors en situation d’irrégularité lorsqu’elles sont formelles. Cela est dû à l’environnement juridique inadéquat pour ce genre de modèle car n’ayant pas prévu de statut de société pouvant gérer ces entreprises. Mais surtout, la fiscalité est très dure pour ces entreprises ce qui les rend récalcitrant à la formalisation. Ainsi, ces modèles qui répartissent efficacement les richesses ne sont pas exploités dans le sens de servir de levier pour atteindre une croissance intégrée. Il est donc impératif de revoir les législations pour qu’elles soient en phase avec l’environnement socio-économique local. Les modèles doivent être revus pour être à l’image de la culture locale.
En définitive, il est nécessaire de revisiter nos fondamentaux organisationnels, de réfléchir nos modèles à tous les niveaux afin d’enfin faire bourgeonner et fleurir une société leader capable de faire bouger les lignes.