Salamata Bâ, 19 ans, élève en Terminale L2 au lycée de Bokidiawé dans la région de Matam, s’est imposée devant ses camarades, avec 13,93 de moyenne.
Du Gabon au Fouta.
Kawél Dialloubé, à quelques encablures de Oréfonde, dans la région de Matam, coule de reconnaissance pour son enfant.
Une belle toucouleur, svelte, née au Gabon et que le destin a traînée au Sénégal. De Libreville au Fouta, Salamata s’est forgé une forte carapace pour conquérir le monde. Découvrir la personnalité qui se cache derrière ce charmant minois vaut le détour. De cette expérience, on saura que la diplomatie n’attend pas le nombre d’années pour se laisser apprivoiser. A 19 ans, Salamata Bâ en est une personnification. Malgré son jeune âge, elle sait comment discuter avec tact et habileté, négociation et stratégie. D’ailleurs, elle a déjà une orientation pour sa future carriére. «Je vais choisir le droit. Mon rêve est de poursuivre mes études en France pour faire diplomatie. Plus tard, je veux devenir ambassadrice. Et je voudrais servir en Arabie Saoudite ou en Inde», glisse-t-elle sans sourciller. Ce n’est pas pour rien qu’elle est la première bachelière de Matam, avec 13,93% de moyenne. Une note qui ne fait pas sursauter, puisque la recalant à la mention «Assez bien».
Sa mère nourricière.
La jeune fille est d’une détermination qui force l’admiration. Elle dit : «Je me donne à fond pour réussir. Je l’ai toujours fait et ce n’est pas maintenant que je vais me dégonfler.» Pour Salamata qui vit dans un village privé d’électricité et d’école secondaire, le parcours n’a pas été une sinécure. En classe de TL2 au lycée de Bokidiawé, elle a été contrainte de quitter le cocon familial, pour ne pas passer à côté de ses rêves. «La semaine, je logeais à Bokidiawé et ne revenais que le week-end au village. On marchait des kilomètres pour rallier le lycée. Et c’est depuis l’école primaire.» Ces sacrifices, Salamata les a faits pour faire plaisir à sa mère. Celle qu’elle n’a pas vue depuis 6 ans est sa source de motivation. «J’avais 8 ans quand j’ai quitté le Gabon pour le Sénégal. C’était en 2006. Depuis, je ne l’ai pas revue. J’avais commencé l’école au Gabon à Monboint I de Libreville. Mes parents m’ont transférée au Sénégal. Une fois ici, j’ai repris le Ci.» Nostalgique, elle confie : «Maman tient beaucoup à mes études, mon frère n’a pas pu faire les siennes au Sénégal, ce qui l’avait vraiment courroucée. Pour ne pas la décevoir, je fais tout pour être à la hauteur de ses espérances. Quand elle me manque, je me dis que je la reverrai le jour que j’aurai mon bac. Et mon objectif était de l’avoir avec mention pour la rendre heureuse.» Quand elle parle de son père, ses yeux pétillent de reconnaissance, sa voix s’étreint d’affection : «Mon papa est émigré au Gabon. Il finance mes études. Il a 2 femmes et chacune a 8 enfants, mais il a tout fait pour que je réalise mes objectifs.» Sevrée de sa maman depuis 6 longues années, sa belle-mère l’a beaucoup soutenue. Hawa Diop : «Salamata est une fille gentille, serviable et studieuse.»
Pilote de ligne ou le rêve brisé.
Si Salamata n’a pu être bachelière avec une excellente mention, c’est parce qu’elle n’a pas suivi sa série de cœur : la S3. Elle explique : «Je voulais être pilote. Au collège, j’ai choisi les sciences, j’y excellais. J’ai viré en L2, parce qu’en Seconde, je me suis ramassée en maths. Néanmoins, j’ai toujours été bien dans les matières littéraires.» Sa meilleure amie, Ramata Bâ, bachelière elle aussi : «Nous sommes amies depuis 10 ans. Nous avons fait les bancs ensemble et révisons ensemble. Quand il s’agit d’étudier, elle y va à fond. Elle ne lâche rien.» Taquine, elle nous brosse la mésaventure de Salamata devant le palais de la République : «On a confisqué son téléphone.» Salamata rigole et confirme : «J’étais devant le palais et prenais des photos, le gendarme m’a arraché l’appareil.» La coquine ne s’est pas limitée à prendre des photos. «J’ai aussi dit aux gendarmes que je voulais rencontrer le président de la République.» Une franchise qui fait rire.
«Si le gendarme m’avait laissée voir le Président…»
Salamata n’a pas mis les pieds dans la capitale sénégalaise depuis 2006. Dix ans durant lesquelles la jeune fille était loin de s’imaginer la différence entre Dakar et sa région. Le choc fut rude. «Une fois à Dakar, j’ai compris que l’on nous a oubliés. Vous avez vu le piteux état de nos routes ? Voir les belles routes de Dakar, ses infrastructures, alors qu’ici, c’est la table rase, m’a fait perdre l’appétit. Si le gendarme m’avait laissée voir le Président, je lui aurai dit mes quatre vérités. Je lui aurai demandé de faire quelque chose pour notre village. On n’a pas d’électricité, pas d’écoles, souffre pour étudier. Les femmes souffrent. Sans structure sanitaire, elles accouchent en cours route, pour rallier une localité qui en dispose. Je lui aurai parlé de tous ces problèmes et confié que ma ville est morte, qu’il n’y a rien et que l’Etat doit nous aider.» Un message débité avec la même hargne que la Matamoise met à atteindre son but : réussir dans ses études… et dans son ménage. Salatama, outre le bac, a décroché un mari. Son époux, un professeur d’Histoire-géographie, a demandé et acquis sa main le jour des délibérations. «Mon mari m’a soutenue dans mes études et ne sera pas un frein pour ma carrière», prophétise-t-elle plus qu’elle ne prie.
Marie Louise NDIAYE – L’Obs