L’humanité évolue sur la base de modèles délibérément construits ou inconsciemment appliqués. Qu’il s’agisse de l’individu ou d’une société en passant par les différents groupes, même les plus primaires, il existe toujours un ensemble de modèles de référence. Au niveau individuel, le modèle est généralement une ou des personnes de référence choisies pour diverses raisons afin de servir de base de comparaison dans la construction de la personnalité de l’individu : la typologie de ses actions, son comportement, ses croyances,… Ceci aura pour conséquence de définir les habitudes de l’individu, sa sociabilité, la gestion de son patrimoine, etc., tant d’éléments que l’on peut comparer à des politiques lorsque l’on parle d’entreprises ou d’états (politique budgétaire, politique sociale,..). Au niveau individuel, cela se fait spontanément, de même que dans la cellule familiale ou dans les groupes primaires.
A plus grande échelle, cela s’avère bien plus complexe. Les modèles doivent se construire et se définir de façon claire. Apparaissent alors les notions de business model, de modèles organisationnels, de politiques économiques et tant d’autres. Différentes terminologies pour désigner les mêmes choses à des échelles différentes. Il existe énormément de modèles établis à travers les âges dont beaucoup ont fait leurs preuves en leur temps. Aujourd’hui nous pouvons voir les modèles « américains », « chinois », « japonais », « sud-coréen », « suédois » et tant d’autres qui ont su se démarquer et briller dans de nombreux domaines bien qu’ayant des défauts dans d’autres. Ces désignations sont génériques. C’est-à-dire, qu’en disant par exemple « le modèle japonais », entendons l’ensemble des modèles utilisés dans chaque domaine spécifique (économique, politique, social, familial,…). Une chose leur est commune, tous ces modèles ont été construits sur la base de la culture des peuples concernés. Parlant de culture, entendons la mentalité générale du peuple, son histoire, ses traditions,… Prenons l’exemple du modèle économique des Etats-Unis et son capitalisme. On peut voir sa source dans l’histoire même du pays notamment dans la manière dont il s’est construit. C’est un pays construit par des colons. Des individus venus chercher leur fortune dans le « nouveau monde ». Des gens d’horizons divers qui ont bâti un pays sur la base du développement individuel. Il est normal qu’un tel pays tende vers le capitalisme avec pour référence le stéréotype du « self-made man ».
Aujourd’hui dans nombre de pays en développement, notamment en Afrique, on cherche encore les modèles. Malheureusement, de nombreux pays africains se sont transformés en terrains d’essai des modèles étrangers. Tout d’abord, il y a eu l’application des modèles des « anciens » colonisateurs. Aujourd’hui les débats s’orientent vers la pertinence de ces derniers et la nécessité de les changer. Différents courants de pensées se confrontent pour savoir de celui « américain », « chinois », « japonais », etc. lequel choisir voire même quelle synthèse de ces modèles serait la mieux adaptée pour nos pays. L’intention est louable. La bonne chose est que l’on a noté la déficience de nos systèmes. Mais où se situe la faille du raisonnement ? La réponse est très simple. Pourquoi est-il question d’utiliser des modèles étrangers ? Pourquoi ne parlerait-on pas d’un modèle « africain », « sénégalais », « togolais » et tant d’autres ? Bien qu’ayant fait ses preuves, un modèle étranger sera en fin de compte toujours étranger au peuple auquel on veut l’appliquer. Prenons l’exemple du Sénégal et de son modèle politique hérité de la France. Bien qu’ayant connu quelques évolutions depuis celui de 1960, force est de constater qu’une minorité de la population en comprend réellement le rôle et le fonctionnement. Certes, la faute peut en partie être imputée à un défaut éducationnel mais elle est avant tout imputable à un déphasage notable entre ce modèle et le modèle de gouvernance et de management antérieurement présents dans les différents groupes sociaux du pays.
Durant les siècles derniers, un grand effort a été fourni dans la négation d’un héritage culturel africain. La conséquence en est qu’aujourd’hui, il est admis dans l’inconscient de la grande majorité que l’Afrique au sud du Sahara n’a pas d’héritage culturel. Que la politique, l’économie, l’éducation et tous les autres traits relatifs à une civilisation y ont été importés. Pourtant, nous avons vu la République Lébou, la République Islamique de Thierno Souleymane Baal et la constitution de l’Almamiyyah, la charte du Manden (au passage, l’une des plus anciennes constitutions connus du monde), les modèles économiques et organisationnels des nombreux royaumes et territoires d’Afrique et les relations commerciales « internationales » avec l’exemple du commerce transsaharien qui a connu son apogée aux alentours du VIIe siècle, les systèmes de transmission du savoir et du savoir-faire, l’organisation du travail et tant d’autres. Néanmoins, il est rare d’en entendre parler dans nos écoles et nos populations en perdent la mémoire. Pourtant, avec des bases aussi solides, aussi profondes et les inspirations du monde extérieur, il y a là de quoi créer des modèles au moins tout aussi performants que n’importe quel autre étranger.
Nous avons vu ce qu’il peut advenir lorsque le modèle en place ne tient pas compte de la réalité du pays avec le cas du Rwanda et à l’inverse, les intérêts d’un modèle propre avec ce même pays ou encore l’exemple du Botswana. Il serait temps, il l’est d’ailleurs depuis bien longtemps, que nous nous penchions plus sur l’étude de notre propre histoire, de l’anthropo-sociologie de notre continent et le diagnostic de notre société actuelle afin d’évoluer vers la création de modèles forts et adaptés afin de pouvoir créer une vraie croissance intégrée.