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MESSAGE D’OUTRE-TOMBE : CHEIKH ANTA DIOP NOUS PARLE… (Par Khadim Ndiaye)

La colonisation ayant braqué et ramené les ethnies en surface, elle en a fait un facteur de division des Africains. J’ai dit que tout le peuple africain est « divisé par des barrières ethniques que nous croyons étanches par ignorance, ce qui nuit au sentiment d’unité exigé, plus que jamais par les circonstances historiques dans lesquelles nous nous trouvons».

Le particularisme ethnique exacerbé sape l’unité nécessaire à la conscience culturelle. Conscient de cela, je me suis livré à toute une étude ethno-linguistique pour démontrer la parenté des différents groupements en Afrique. J’ai d’ailleurs souhaité que des études soient faites pour aider les africains à mieux se connaître. J’ai écrit qu’une « étude ethnologique et linguistique appropriée, révélant une parenté insoupçonnée entre les groupements en présence, revêt alors une importance politique et sociale en ce sens qu’elle contribue à aplanir les difficultés qui s’opposent à la réalisation de l’unité linguistique » et nationale. La connaissance des différentes populations africaines et de leurs langues est en effet plus que nécessaire.

J’ai démontré grâce aux trois facteurs – historique, linguistique et psychologique –, l’unité d’origine des différents groupements. Il faut savoir que « le sang qui coule dans nos veines est un mélange de sang sérère, toucouleur, peul, laobé, congolais, sarakolé : peuples des négresses à plateau…La réciproque est d’ailleurs vraie dans les autres régions. Une étude similaire appliquée à toute l’Afrique conduirait à des résultats analogues ».

Cette étude aurait pour objectif de montrer l’unité de la personnalité culturelle africaine rompue par les « techniques de colonisation ». Il nous faut rendre « désormais ridicule tout préjugé ethnique entre les ressortissants conscients de ces différents groupements ». Plus clairement, cette étude devra permettre de faire ressortir les liens profonds qui unissent les Africains, « de connaître de mieux en mieux la société africaine et ses origines, de saisir les problèmes concrets que pose sa transformation vers un devenir meilleur, d’être à même donc de les résoudre, par conséquent d’être en mesure d’assumer la destinée de notre pays ».

À côté des ethnies, il y a le système des castes qui anéantit l’unité nécessaire à une personnalité retrouvée. Pour y remédier, il faut selon moi expliquer aux Africains le pourquoi des castes et leur nécessaire dépassement : « La relativité de nos structures, ainsi mises en évidence, pourrait nous aider à dégager les bases théoriques d’un dépassement de nos sociétés à castes, dépassement qui ne sera irréversible que s’il est fondé sur la connaissance du pourquoi des choses. N’est-ce pas cela la révolution sociale, ou en tout cas un de ses aspects les plus importants dans nos pays ? »

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La connaissance du pourquoi des choses est fondamentale si l’on veut réussir une révolution sociale. Mon avis est qu’ « en expliquant la genèse des castes, le caractère révolu des circonstances historiques qui les ont engendrées, leur non-sens dans la nouvelle structure économique, leur danger actuel, j’essaie de contribuer à la solution du problème de la division totale de tous les éléments qui devraient être unis dans une lutte commune».

Je souhaite vivement, qu’après lecture de mon œuvre, l’Africain se dégage du néant des cloisons ethniques et mette de l’avant sa parenté continentale. Ce fut de tout temps mon souhait. « Dès lors, disais-je, quel doit être le comportement d’un Africain conscient ? Il doit se dégager de tout préjugé ethnique et acquérir une nouvelle forme de fierté : la vanité d’être Walaf, Toucouleur, Bambara, etc., […] doit faire place à la fierté d’être Africain, tant il est vrai que ces cloisons ethniques n’existent que par notre ignorance ».

Dans la marche vers la renaissance, il sera nécessaire également de pousser les différents groupements africains à sortir de leur égoïsme clanique et tribal. L’Égypte ancienne n’a réussi à bâtir la grande civilisation qui est la sienne qu’en mettant en place un pouvoir « supra-clanique ». L’Égypte, dans son apogée, était complètement détribalisée. Elle « fut par excellence le pays des villes où grouillaient des multitudes d’individus complètement détribalisées et où le commerce avec toutes les régions connues du monde d’alors fleurissait».

Les histoires locales doivent être décloisonnées. Je prône une vraie réévaluation de l’histoire africaine afin que le facteur unitaire, seul prompt à consolider la personnalité culturelle, soit mis de l’avant. Pour moi il y a deux niveaux d’histoire africaine à considérer. Le premier niveau, cloisonné, est «celui immédiat, des histoires locales, si chères, fortement vécues, dans lesquelles les peuples africains, segmentés par diverses forces extérieures dont la principale est la colonisation, se recroquevillent, se trouvent piégés et végètent aujourd’hui ». Un deuxième niveau plus important, « plus général, plus lointain dans l’espace et le temps et englobant la totalité de nos peuples, comprend l’histoire générale de l’Afrique Noire, telle que la recherche permet de la restituer aujourd’hui à partir d’une démarche rigoureusement scientifique : chaque histoire particulière est ainsi repérée et située correctement par rapport à des coordonnées historiques générales. Ainsi toute l’histoire du continent est réévaluée selon un nouvel étalon unitaire propre à revivifier et à cimenter, sur la base du fait établi, tous les éléments de l’ancienne mosaïque historique.»

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Seul le deuxième niveau d’histoire est capable d’assurer le sentiment d’unité historique. Cette réévaluation de l’histoire doit s’accompagner également d’une redéfinition de la « sociologie africaine » dont un des rôles doit être de « faciliter le passage de la conscience tribale à la conscience nationale, partout où cela est nécessaire, en Afrique.»

Khadim Ndiaye (qui ne fait que transmettre le message)

Extraits de l’ouvrage CONVERSATIONS AVEC CHEIKH ANTA DIOP.

Khadim Ndiaye (Via Seneleaks)

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