“Autonomie, curiosité, lucidité, modestie… Voilà des attitudes qu’il faut encourager chez les jeunes.” (Ndiaye Dia)
Koukandé, Touss Tassar, quelle est la suite?
Même si cette introduction peut sembler humoristique ou provocatrice, ces phénomènes de mode sont de plus en plus fréquents au Sénégal. Ne passe pas un mois sans qu’un nouvel individu ou groupe d’individus “innove”, surfe sur la vague médiatique mais pas pour les meilleures raisons du point de vue d’un pays comme le nôtre. On en vient à questionner notre sens des priorités, le génie sénégalais (s’il a une fois existé) mais surtout notre crédulité, et sens critique. Nous rencontrons Ndiaye Dia, un jeune étudiant à l’école Polytechnique de Paris (l’X), meilleure école d’ingénieur de la France, qui nous donne son avis sur la question.
Ces phénomènes de modes ne cachent-ils pas un mal plus profond sur notre société?
Depuis longtemps, notre société semble être dans un piège très profond. Et ce piège semble être accepté par la majeure partie de la population. Cette dernière est très facilement manipulable, par des faits divers, des informations insensées, sans aucune valeur ajoutée ni sur le bien-être et la cohésion sociale ni sur l’économie du pays. Ceci dit , notre pays fonce de plus en plus et de génération en génération dans trou d’inconscience collective. En ce qui concerne le phénomène “Kounkandé”, mon hypothèse est la suivante : Kounkandé n’est qu’un examinateur qui avait pour mission de tester et valider le grand intérêt accordé aux futilités, l’incapacité à prendre du recul, l’absence de sens critique qui règnent dans notre société. Hypothèse qu’il a validé lui-même en disant : “La plupart des sénégaalis ont un cerveau vide”.
Le sens critique du sénégalais à l’épreuve, comment s’en sort la jeunesse sénégalaise?
Nous vivons dans un monde où les informations peuvent être facilement disponibles. D’un clic de souris, nous pouvons accéder à une multitude d’entre elles ; en nous promenant dans la rue, nous croisons des affiches attirant le regard ; en allumant la radio ou la télévision, nous entendons des journalistes, nous captons des publicités ; en ouvrant un journal, nous découvrons des articles sur les réseaux sociaux, sur le web. Je ne dirais pas exactement qu’il s’agit d’une absence de sens critique, mais plutôt d’une incapacité à prendre du recul face à certaines ou même la plupart des informations sans aucun sens qui circulent sur nos réseaux sociaux. À l’adolescence, sur leur smartphone, les jeunes sont submergés par un flot de contenus, il leur est difficile de faire la part entre vérité et mensonge. La plupart relayés en un éclair par des médias dont le seul objectif est d’atteindre le maximum d’audience, fausses informations, rumeurs, complots et futilités sèment le trouble avec une force de frappe étonnante. Selon des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) une fausse nouvelle a 70 % de chances en plus d’être relayée qu’une nouvelle vérifiée et circule en moyenne six fois plus vite.
Il faut également noter que moins les gens prennent du recul et développent un sens critique face aux vagues d’informations, plus on s’adresse à eux comme à des « Ignorants » (manipulables vers tous les sens). Et une fois que le mal est fait, il devient dangereux de leur parler comme à des individus libres et responsables. Ce qui légitime a posteriori l’élitisme et le snobisme de classe. La démocratie ne peut fonctionner correctement que si les citoyens et surtout les jeunes sont capables de résister aux démagogues (grâce à leur esprit critique), ce qui garantit une classe politique et sociale de qualité.
Ainsi donc la prise du recul, le renforcement de l’esprit critique doivent plus que jamais être là.
Quels chemins emprunter? Quels changements dans le système éducatif? Quels changements dans la société de manière plus générale?
Il est plus qu’urgent que l’Éducation nationale se libère de son système de mémorisation mécanique. Dans ce cadre, il faut engager une réflexion sur la façon dont les enseignants peuvent participer à la formation et au renforcement de l’esprit critique des élèves, en leur accordant plus d’autonomie sur la pensée et sur le questionnement . L’esprit critique se cultive à travers un ensemble d’attitudes. Pour le développer, il faut faire preuve d’autonomie, oser penser par soi-même, comme le préconisait le philosophe Emmanuel Kant. Autre ingrédient indispensable : la curiosité. Celle-ci nous incite à comprendre le monde qui nous entoure. Il faut aussi faire preuve de lucidité : avoir une vision claire de ce que l’on sait et de ce que l’on ignore. L’esprit critique implique de prendre le temps de s’informer, ce qui n’est pas évident dans une société de l’immédiateté, qui exige une réaction instantanée, notamment sur les réseaux sociaux, et donc l’école sénégalaise doit se renforcer davantage pour former de vrais citoyens, bien informés sur les enjeux nationaux et mondiaux et capables de prendre du recul pour distinguer ce qui est utile/vrai de ce qui ne l’est pas. Et en amont, il faut se donner des conditions politiques, institutionnelles et sociales qui favorisent le renforcement l’esprit critique, l’esprit de vérification et l’esprit de recherche : pluralisme et rigueur médiatique (des médias qui ne s’adressent pas aux citoyens comme on le ferait avec des ignorants totalement désintéressés du progrès), système éducatif performant et adapté, encouragement de la recherche (sur les domaines de la société) et diffusion de celle-ci sans oublier les conditions sociales rendant possible la jouissance de ces biens.