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Etude d’ouvrage : L’ÉTRANGER d’Albert Camus.

L’ÉTRANGER (1942) d’Albert Camus.

Introduction.
S’il faut parler d’Albert Camus en tant que romancier, on ne peut honnêtement s’interdire de citer deux de ses oeuvres : La Peste (1947) et L’Étranger (1942). Comme dans la plupart de ses écrits, dans ce dernier roman nommé, l’auteur expose artistiquement toute sa pensée philosophique de l’Absurde. Pour faire de celui-ci un concept à comprendre, je ferai d’abord l’économie biographique et bibliographique de l’auteur ; puis je proposerai son bref résumé, pour m’attarder un peu ensuite sur le style de la minimalité employé, avant de parler enfin des thèmes essentiels.

I. BIOGRAPHIE et BIBLIOGRAPHIE.
Albert Camus est né à Mondovi, en Algérie. Son père (Lucien) meurt en 1914, lors de la bataille de Marne. C’est à Alger, dans le quartier populaire de Belcourt, qu’Albert Camus passe son enfance et son adolescence, auprès de sa mère Catherine Sintès, sous le double signe de la pauvreté et de l’éclat du soleil méditerranéen. Boursier au lycée Bugeaud, Camus découvre la philosophie grâce à son professeur Jean Grenier qui deviendra son maître et son ami. Après le bac, il commence des études de philo qui le mèneront jusqu’à la licence. Avec trois amis, il écrit sa première pièce La Révolte des Asturies qui sera interdite en France (mais éditée à Alger, en 1936).
En 1942, Gallimard accepte de publier L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe. Avec ce roman, Albert Camus accède à la célébrité. La critique salue, en Meursault, un « héros de notre temps ». En 1943, Camus rencontre Jean-Paul Sartre ; bien qu’ils partagent des affinités philosophiques, l’un refuse l’étiquette d’existentialiste de l’autre qu’on lui prête. En 1947, il publie La Peste et, en 1951, il défend, dans un nouvel essai, L’homme révolté, une conception très personnelle de la lutte sociale et politique. Lorsque surviennent les événements d’Algérie, Albert Camus hésite entre son attachement à sa terre natale et la légitimité des revendications algériennes…
En 1956, il publie La Chute. Prix Nobel de littérature l’année suivante (la plus haute distinction décernée à un écrivain), à 44 ans, il devient un modèle pour toute une génération qui admire cet humaniste conciliant la pensée sans complaisance et l’action généreuse. Albert Camus meurt le 4 janvier à 13h 55′, sur une route de l’Yonne, dans un accident de voiture qui s’est écrasée contre un arbre. On retrouva dans le véhicule le manuscrit inachevé du Premier homme, un récit autobiographique sur lequel il travaillait.

II. RÉSUMÉ DU ROMAN.
Le roman se divise en deux parties, l’une avant et pendant le meurtre, l’autre après.
Dès les premières pages, Meursault (narrateur et personnage principal) reçoit un télégramme lui annonçant la mort de sa mère. Obtenant la permission de son patron, ce modeste employé de bureau se rend à l’asile de vieillards de Marengo, assiste à la mise en bière (cercueil) et aux funérailles, sans prendre l’attitude de circonstance que l’on attend d’un fils endeuillé. Après l’enterrement, le lendemain déjà, il va à la plage et y rencontre une ex collègue, Marie Cardona ; ils nagent ensemble et se donnent rendez-vous le soir au cinéma pour suivre un film de Fernandel (célèbre artiste comédien) et font l’amour (doyna waar !). Le surlendemain, un dimanche matin, Meursault rend visite à Raymond Sintès (un voisin) qui l’invite au cabanon de Masson (ami de Raymond) sis à la plage. Il faut rappeler que cet « ami » de Meursault s’est montré brutal avec sa maîtresse mauresque ; c’est pourquoi ce mec craint des représailles du frère de celle-ci. Se promenant sur la plage, ils croisent trois hommes dont l’un est le frère de la jeune femme. Une bagarre éclate au cours de laquelle Raymond est blessé au couteau. Ils se séparent et, au retour à l’appartement, par mesure de précaution, Meursault s’empare du pistolet de Raymond ; mieux encore, il le porte par devers lui. Un moment, sous l’effet de la chaleur étouffante et l’appel du grand air, Meursault retourne seul à la plage. Il rencontre à nouveau l’un des Arabes qui, à sa vue, sort une arme blanche et se rue sur lui. Aveuglé par l’éclat du soleil sur la lame du couteau brandi, Meursault sort instinctivement de sa poche le revolver de Raymond et, en situation de légitime défense, tire une fois, puis quatre fois ; l’Arabe est tué.
Dans la seconde moitié du roman, (moins grande, c’est-à-dire plus expéditive), l’action se passe dans deux endroits différents : en prison et au tribunal. Le procès de Meursault se prépare. Malheureusement, l’avocat commis d’office se révèle incapable de défendre la cause d’un homme dont la sincérité et la naïveté sont exaspérantes. Pire, au lieu de regretter son acte délictueux, Meursault s’ennuie… Il se sent complètement hors-jeu dans le procès qu’on lui intente et ne sait pas quoi répondre quand on lui demande les mobiles du crime dont il est accusé. Jugé et condamné à la guillotine, il ne trouve plus de sérénité qu’en prison dans le fond de sa cellule où il attend la mort.

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III. STYLE MINIMALISÉ
Dans l’oeuvre, tout est minimalisé : les personnages, le discours narratif, le temps et l’espace… Seule l’absurdité a du relief.

1. Minimalité des personnages.
Les personnages ne sont pas nombreux comme nous en avions l’habitude dans les romans traditionnels de la facture d’un Père Goriot de Balzac par exemple. À commencer par Meursault lui-même : il a été dépossédé de son prénom qu’on ne mentionne nulle part. Les autres apparaissent de façon sporadique pour n’influencer que très dérisoirement la suite des événements qui avancent lentement mais sûrement vers son orbite. Ces personnages qui peuplent le roman sont dépourvus d’envergure. Aucun d’eux n’a de réel impact dans le récit, comme si ces hommes n’étaient en rien différents de nous, c’est-à-dire qu’ils n’ont rien d’extraordinaire.

2. Minimalité du discours narratif.
Cette même disette des personnages, dans leur nombre comme dans leur étoffe, se perçoit dans le discours narratif. En effet, dès l’incipit par exemple, Meursault reçoit un télégramme formulé comme suit : « Mère morte. Enterrement demain. Sentiments distingués. » On peut dire que c’est à peu près ce style SMS qui se prolonge tout au long du récit, à travers beaucoup de discours et d’événements ordinaires rapportés avec une sobriété quasi quotidienne.

3. Minimalité du cadre spatio-temporel.
Le temps et l’espace subissent un égal traitement. Pour l’un, l’ensemble des actions se passe en quelques jours seulement. Pour preuve, entre l’annonce du décès et le meurtre, il a suffi à l’auteur à peu près soixante-douze heures pour les représenter. Quant à l’autre, le temps, il est complètement banalisé puisque c’est seulement le soleil qui détermine (par son éclat fatal et sa pesanteur icarienne) le cours des événements.

IV. THÈMES ESSENTIELS.
Je vais les aborder l’un après l’autre, en citant régulièrement le texte d’origine comme preuves à l’appui.

1. La vie absurde.
L’Absurde est l’attitude contradictoire qui enfreint les lois de la logique ; mais elle constitue la « première vérité », selon Camus lui-même. Cette notion est triplement exprimée dans L’Étranger.
a) L’indifférence de Meursault.
L’indifférence est une attitude, un détachement à l’égard d’une chose ou d’un événement.
√ Meursault la manifeste aussi bien à sa mère (il n’a pas pleuré lors de sa mort) qu’à sa copine :
« Un moment après, elle [Marie] m’a demandé si je l’aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire, mais qu’il me semblait que non. Elle a eu l’air triste. » (I, ch. 4)
√ Meursault la démontre à son patron qui lui parlait de promotion :
« Il [le patron] m’a demandé alors si je n’étais pas intéressé par un changement de vie. J’ai répondu qu’on ne changeait jamais de vie, qu’en tout cas toutes se valent et que la mienne ici ne me déplaisait pas du tout. » (I, ch. 5)

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b) L’ennui de vivre.
Meursault s’ennuie terriblement avant même d’être incarcéré car ce sont toujours les mêmes habitudes qui se répètent inlassablement, comme une boule d’excréments (le rocher) que pousse un insecte (Sisyphe) et qui bascule sans cesse :
√ Il dit :
« Après le déjeuner, je me suis ennuyé un peu et j’ai erré dans l’appartement. […] J’ai pensé que c’était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j’allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n’y avait rien de changé.» (I, ch. 1)

c) La difficulté de communication.
À franchement parler, Meursault ne sait pas communiquer. Et cette défaillance oratoire lui nuit considérablement face à une société qui aime la harangue, les propos pompeux, même mensongers :
√ Parlant de sa copine, contrairement à nous qui disons  »sama yeuf »,  »yaamay daanèl » (Mdr !), lui il dit :
« Elle [Marie] me souriait de toutes ses forces. Je l’ai trouvé très belle mais je n’ai pas su le lui dire .» (II, ch. 2)
√ Il dit encore plus loin :
« Le président a répondu qu’il serait heureux de me faire présenter les motifs de mon acte. J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots, […] que c’était à cause du soleil. Il y a eu des rires dans la salle. » (II, ch. 4)

2. La satire des institutions sociales.
L’occasion s’offre à Camus de critiquer toutes ces institutions qui dévoient de leur office premier. Au lieu de s’apesantir sur le meurtre en question, on s’attarde sur les événements en amont et en aval. Ces justiciers de façade (des hypocrites de premier ordre) cachent d’autres intentions et dévoilent toute leur totale impuissance face à la condition humaine.
a) La justice.
Instrument plus mécanique qu’une arme au poing du criminel, le tribunal n’est qu’un simulacre de justice. Au lieu de juger l’inculpé pour son crime, on lui fait subir plutôt une enquête de moralité, un semblant de procès, voilà tout.
√ Il dit :
« Il [le juge d’instruction] m’a demandé si j’aimais maman. J’ai dit : « Oui, comme tout le monde » […]»
√ Il ajoute :
« L’avocat levait les bras et plaidait coupable, mais avec excuses. Le procureur tendait ses mains et dénonçait la culpabilité, mais sans excuses. » (II, ch. 4)

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b) La religion.
Opium du peuple, comme disait Karl Marx, la religion est ici représentée comme complice de l’Absurde dont le narrateur ne veut pas faire la promotion. Même son de cloche !
√ Il poursuit :
« Il [le juge d’instruction] m’a exhorté une dernière fois, en me demandant si je croyais en Dieu. J’ai répondu que non. Il s’est assis avec indignation. Il m’a dit que c’était impossible, que tous les hommes croyaient en Dieu, même ceux qui se détournaient de son visage. » (II, ch. 1)

Conclusion.
Ce sera sans doute l’une de mes plus longues publications. C’est parce que j’ai arrondi mentalement mon public lecteur et agrandi mon auditoire d’internautes constitué d’élèves brillants, d’éminents professeurs, de chercheurs tellement chevronnés…
Mais je sens encore un goût d’inachevé pour cette publication. Toutefois, Bernard Pingaud semble m’avoir apaisé et donné raison lorsque je relisais mes notes. Il a dit dans son essai (L’Étranger d’Albert Camus, page 27,1992) : « Les grandes oeuvres se reconnaissent à ce qu’elles débordent tous les commentaires qu’elles provoquent. C’est ainsi seulement qu’elles peuvent nous combler : en laissant toujours, derrière chaque porte, une autre porte ouverte ».
Cette oeuvre a d’ailleurs fait l’objet d’adaptation cinématographique (Lucino Visconti) et fut reproduite en bandes dessinées (José Munoz). Quant à l’intertextualité, d’amont en aval, elle est remarquable dans Le Dernier jour d’un condamné (1829) de Victor Hugo et dans Meursault contre-enquête (2013) de Kamel Daoud (à lire absolument !)

Issa Laye Diaw
Donneur universel.

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