Il fait la fierté de la communauté universitaire. Lui, c’est le Professeur Daouda Ndiaye. Chef de l’unité de Parasitologie-Mycologie du Centre hospitalier universitaire (CHU)
de l’hôpital Aristide Le Dantec et chef du Service de Parasitologie et Mycologie de la Faculté de Médecine, Pharmacie et Odontologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Daouda Ndiaye a été honoré lors de la cérémonie de remise des Trophées de l’innovation biologique 2016 tenue en juin dernier à Paris. Cet agrégé en parasitologie et professeur titulaire des universités y a reçu un prestigieux prix dans la catégorie « Biologie d’urgence et délocalisée » pour avoir inventé un test de diagnostic rapide du paludisme appelé « Illumigene Malaria » après quinze (15) ans de recherches. Cette découverte qui a été saluée par la presse scientifique du monde entier, va grandement contribuer à lutter de manière efficace contre le paludisme. Pr Ndiaye explique cette nouvelle technique quise révèle jusqu’à 400 fois plus sensible au dépistage du parasite, exprime ses nouveaux objectifs de recherches et jure fidélité à l’UCAD.
Vous avez mis en œuvre « Ilumigene Malaria » qui est un test de diagnostic du paludisme. Qu’est-ce qu’il apporte de nouveau par rapport aux autres tests ?
« Ilumigene Malaria » est un test révolutionnaire de diagnostic et de dépistage du paludisme qui a (un atout fondamental puisqu’il permet de détecter toutes infections palustres ou tout portage de plasmodium chez l’individu ou ce qu’on appelle les porteurs sains ou réservoirs de parasites. Pendant longtemps, nous avons eu à utiliser des techniques performantes pour diagnostiquer et dépister les plasmodiums au niveau du sang. Ces techniques reposaient essentiellement sur la microscopie avec la goutte épaisse et le frottis mince. Mais également, plus récemment, les Tests de diagnostic rapide (TDR). Ces techniques ont la capacité de détecter des portages parasitaires jusqu’à un certain niveau. Mais, ces tests ne permettaient pas de détecter des portages à moins de cinquante (-50) parasites par microïde. Aujourd’hui, dans des pays comme le Sénégal ou d’autres pays africains qui sont très en avance dans la lutte contre le paludisme en terme de contrôle, où la prévalence parasitaire est devenue très faible, la plupart des individus deviennent malades à partir de portage très faible avoisinant cinq (5) à dix (10) parasites par microïde. Et malheureusement, ces parasitémies ne peuvent pas être détectées avec les techniques que nous venons de citer. Donc, il était extrêmement important pour nous, en tant qu’expert du paludisme, de réfléchir sur des techniques nouvelles qui nous permettent d’être en phase avec la situation.
« Ilumigene Malaria » est alors une technique révolutionnaire.
Oui. Ce test est révolutionnaire parce qu’il permet de diagnostiquer toutes parasitémies, même inférieures à un (1) parasite par microïde. On a donc pu démontrer qu’en Afrique, on pouvait travailler et répondre aux problèmes de santé publique et mettre à la disposition africaine des outils performants qui permettent de traquer les parasitémies faibles et répondre aux préoccupations de lutte contre le paludisme. Dans le contexte du Sénégal, on ne peut pas parler d’élimination ou de préélimination si on ne se base que sur des techniques telles que la microscopie et les TDR. L’objectif du programme paludisme, c’est l’élimination de la pandémie en 2020. A notre avis, il était extrêmement important d’anticiper parce que nous avons été formatés en matière de paludisme depuis seize (16) ans. « Ilumigene Malaria » est un test de biologie moléculaire. La microscopie est une technique parasitologique d’observation du parasite, les TDR sont des techniques antigéniques. Mais, les techniques moléculaires sont jugées plus performantes en terme de sensibilité. Si la microscopie recherche le parasite dans sa morphologie, si les TDR recherchent des éléments du parasite, les techniques moléculaires vont à l’échelle de l’ADN, du noyau. Et à ce niveau, il faut une expertise et des machineries complexes pour pouvoir détecter les plus faibles parasitémies.
Mais, ces machineries existaient bien avant dans nos laboratoires.
Oui, mais ces techniques moléculaires ne pouvaient pas être déployées sur le terrain. A Thiès par exemple, vous n’avez pas ces techniques moléculaires parce que tout simplement c’est des machines très chères qui coûtent des centaines de millions qui demandent une expertise avérée en génomique et en biologie moléculaire qui n’est pas donnée à tous les scientifiques. Il y a très peu de biologistes moléculaires et de génomiques parce que c’est une formation longue et qui coûte très cher. Nous ne pensons pas qu’on puisse arriver dans un pays à avoir toutes les machineries dont les populations ont besoin en matière de biologie et les expertises. Donc, il fallait travailler sur des techniques moléculaires qui ont la même capacité que les techniques utilisées dans les institutions de recherche et qui ont les mêmes résultats en termes de précision et de sensibilité pour répondre à la problématique de prise en charge. Le paludisme est une urgence. Quand une personne est atteinte de paludisme, il faut immédiatement diagnostiquer la maladie et la traiter. C’est dans ce sens que nous avons travaillé en ayant un soutien fondamental de Meridian Biosciences et avec l’aide technique des centres de contrôle et prévention des pathologies (CDC/Atlanta) aux USA et de l’UCAD. C’est un travail qui a duré de longues années, qui a été validé au Sénégal par des experts sénégalais que nous sommes et qui a obtenu une reconnaissance au plan international. Au Sénégal, « Ilumigene Malaria » permet d’avoir les prédispositions pour aller vers l’élimination parce qu’il va certifier qu’il n’y a plus de paludisme dans notre pays.
Quelle est la durée du test « Illumigene Malaria » ?
Les tests moléculaires que nous connaissons très bien nécessitent au moins trois ou quatre jours. Depuis l’extraction de l’ADN jusqu’à l’amplification et la lecture, donc ça prend trois à quatre (4) jours. En une cinquantaine de minutes, « Illumigene Malaria » permet d’avoir un résultat clé et confirmatif à 100%. C’est un grand pas par rapport à ces tests moléculaires, une véritable révolution.
Quand est-ce que le produit sera disponible au Sénégal et en Afrique ?
Le produit a été breveté depuis le mois de janvier 2016 en Europe et aux Etats-Unis. Les pays qui sont confrontés au paludisme ont demandé à avoir ce produit immédiatement. En Europe, ce test est disponible depuis le 12 février dernier. L’Europe et les Etats-Unis sont confrontés au paludisme d’importation. Européens et Américains utilisent, comme nous Africains, les techniques de la goutte épaisse, le frottis mince et les TDR. Mais, pas mal de cas sont passés à côté parce que les techniques n’étaient plus adaptées. C’est pourquoi, dès qu’ils ont reçu l’information, ils ont appelé à avoir les nouvelles techniques. Donc, nous avons été là-bas et nous avons installé les machines. Ils ont compris effectivement que la sensibilité était inégalable. En Europe et aux Etats-Unis, c’est l’Etat qui finance la santé, au Sénégal comme presque partout en Afrique, nous reposons sur des appuis techniques et financiers. Il fallait donc un plan d’appui. Le Sénégal doit exprimer ses besoins et les partenaires vont réfléchir pour voir comment ils vont financer ça. Ce qui est important, c’est que, en juillet dernier, le Sénégal a adopté ce test dans ses directifs de diagnostic au niveau du pays. Maintenant, les autorités sont en train de chercher l’argent pour mettre le test à la disposition des Sénégalais surtout dans des zones de préélimination avec des portages faibles. Certaines structures du privé nous ont contacté pour disposer du produit mais, nous avons poliment refusé parce nous n’avons pas créé cette technique pour les riches. Si on la met à la disposition du privé, ceux qui ont les moyens vont en bénéficier. Le citoyen lambda n’aura pas accès au produit. Nous préferons que ce test soit d’abord mis à la disposition des communautés, qu’elles en bénéficient au même titre que les autres. D’autres pays ont également montré leur intérêt pour disposer de la technique avec le soutien des bailleurs de fonds.
Un Africain à l’origine d’une technique révolutionnaire pour diagnostiquer le paludisme, c’est vraiment un signal très fort…
Absolument ! Nous avons reçu le prix au mois de juin dernier de la part des experts et des biologistes du monde entier en matière de santé qui ont reconnu qu’en 2016, il y a un produit qui s’appelle « Illumigene Malaria » et qui a montré qu’on peut régler les problèmes du monde à partir de l’Afrique et des Africains. Ce prix prestigieux montre que les fils de l’Afrique peuvent jouer un rôle extrêmement important dans le développement socio-économique et sanitaire du continent et du reste du monde. La presse scientifique du monde a sorti un « press release » pour revenir longuement sur « Illumigene Malaria » et annoncer que le meilleur reste africain. Ce communiqué a été traduit et diffusé dans presque tous les pays du monde. Ce qui nous a le plus réjoui, c’est que même en Chinois, le nom de l’Université de Dakar apparaissait. Cela prouve qu’à l’UCAD, nous avons une valeur intrinsèque contrairement à ce que l’opinion voit avec les grèves. C’est également l’occasion pour nous de saluer et féliciter le Sénégal. Si nous sommes parvenu à créer cette technique, c’est que nous avons eu l’appui du pays en termes de formation. Nous sommes un pur produit de l’école sénégalaise, de l’école primaire jusqu’à l’université. Nous avons fait nos formations spécifiques en biologie moléculaire et en génomique à Harvard après même le doctorat. Donc, nous avons fait toute notre formation à Dakar. Pour parvenir à ce résultat. nous avons eu l’appui total du pays, du ministère de la Santé et de la Prévention, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nous avons trouvé le cadre adéquat pour exprimer notre expertise et nous avons obtenu toutes les autorisations pour dérouler notre plan d’action. Et tout ça, c’est à reverser dans les efforts consentis par le pays en terme d’enseignement, de formation et de prise en charge. Il y a eu aussi l’appui financier des Américains et la formation spécialisée pour avoir les fondements et les moyens qu’il nous faut pour développer une telle technique.
Après « Illumigene Malaria », quel sera le prochain objectif de vos recherches ?
« Illumigene Malaria » est une consécration. C’est après de longues années de travail qu’on a pu découvrir cette technique. On ne pouvait pas se lever un bon jour pour mettre en œuvre le produit. D’ailleurs, les financiers qui nous ont accompagné n’allaient même pas nous croire. Il a fallu qu’on démontre d’autres techniques beaucoup plus complexes. C’est vrai que « Illumigene Malaria » attire aujourd’hui toutes les attentions de par son impact sur la santé publique, mais on a développé d’autres techniques plus perplexes et complexes en termes de recherche. Les bailleurs ont compris que si ces gens ont pu développer ces techniques qui nous permettaient de mieux comprendre le parasite et qu’ils viennent encore nous proposer un plan par rapport à une technique révolutionnaire, alors il fallait les accompagner. Nous travaillons par étapes. Pendant ces dix (10) ans, on a essayé de comprendre le parasite et la problématique du paludisme. On a essayé de développer les techniques qu’il nous fallait pour comprendre le paludisme, la physiopathologie et les bases fondamentales de la maladie. Nous sommes à « Illumigene Malaria » pour accompagner l’élimination. Mais, en termes de lutte contre les pandémies, il y a deux stratégies : après le contrôle, c’est l’élimination mais après l’élimination, c’est la consolidation. Il faut faire en sorte que les pays qui ont été déclarés indemnes de pathologie ne soient pas réinfestés. C’est pour cela qu’on va non seulement faire en sorte que le vecteur puisse être maîtrisé, mais aussi qu’on va développer des candidats vaccins. Si demain, on nous dit que le Sénégal n’a plus de paludisme, ces candidats vaccins vont assurer qu’il n’y aura plus cette maladie dans le pays. Aujourd’hui, nous travaillons dans le cadre du centre d’excellence du paludisme dénommé ICEMR (International Centers of Excellence for Malaria Research) et même ACEGID (African center of science genomic of maladies and diseases). Dans ces deux projets, le but c’est de comprendre la problématique des parasites dans leur biologie et dans leur virulence. Et dans cette virulence, on parviendra à comprendre quels sont les antigènes exprimés en termes de protéine, en termes de récepteur… pour qu’à la fin, on ait antigènes cibles de candidats vaccins.
Quel message adressez-vous à la communauté universitaire?
D’abord, nos remerciements aux collègues universitaires parce que seul, nous ne pourrions mener à terme ce travail. Nous avons bénéficié de l’aide des universitaires. Il faut saluer la mentalité et le professionnalisme de l’UCAD, de tous les enseignants-chercheurs, du recteur pour le travail qu’il est en train de mener, les doyens et les chefs de faculté. Nous universitaires, nous avons des atouts. L’UCAD n’appartient plus seulement au Sénégal. Elle appartient à l’Afrique et au monde. C’est vrai que nous avons quelques divergences, des problèmes parce que nous vivons dans un pays pauvre avec des ressources limitées, il faut savoir, à un certain niveau, surmonter ces étapes. Ce qui est le plus important, ce n’est pas ce que nous recevons de l’université, mais ce que nous lui donnons. Cela va se répercuter sur notre fonctionnement de tous les jours et notre démarche de travail. Nous saluons également les étudiants. Ce travail à été réalisé avec le concours des étudiants. Il faut qu’ils sachent qu’ils sont formés dans la meilleure université africaine. Nous pesons bien nos mots : en termes de ressources humaines, l’UCAD est la meilleure université d’Afrique. En médecine, tous les Marocains, les Maghrébins en général, et les autres Africains francophones sont formés à Dakar et nous les rencontrons tous les jours. La masse critique en ressources humaines et l’expertise sont ici. Donc, il faut qu’on puisse surmonter certaines étapes et montrer à l’opinion nationale et internationale que, contrairement à qu’on voit avec les grèves, qu’on puisse valoriser notre expertise. Quand vous lisez les journaux, vous avez comme l’impression qu’il n’y a que des grèves à l’UCAD alors que tel n’est pas le cas. Si vous êtes à l’étranger, vous comprenez aisément que l’UCAD jouit d’une forte considération et d’un leadership. Nous devons faire en sorte que le nom de l’UCAD soit toujours rehaussé. Aujourd’hui, « Illumigene Malaria » va jouer un rôle extrêmement important dans le prochain classement de Shangaï, cela va donner des points à notre université. Personnellement, nous ne ménagerons aucun effort pour que le travail continue à l’UCAD, nous restons à la disposition de la communauté universitaire pour toute activité qui va rehausser l’image du Sénégal dans la formation et la recherche. Le Plan Sénégal émergent (PSE) peut être développé à partir de l’UCAD. Tout y est : nous avons, l’administration, les ressources humaines et les infrastructures. Maintenant, il faut plus d’accompagnement, donner aux chercheurs que nous sommes plus de moyens. Aujourd’hui, c’est nous mais je suis persuadé qu’à côté, il y a des chercheurs en mesure de faire plus et mieux s’ils avaient reçu les moyens. J’ai eu la chance d’avoir un appui des Américains. L’UCAD est une université privilégiée. C’est avec fierté que nous disons partout que nous sommes de l’université de Dakar.
Source: ucad.sn