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Cahier de confessions ( Par Nourou Al amine)

Épisode 2

Je venais de débarquer, en provenance de la capitale, muni de mon ordre de service signé par le ministre de tutelle.
Très excité et déterminé, comme tout jeune débutant enseignant, j’étais pressé d’entrer en classe.
Mon village d’accueil, frontalier avec la Gambie, bordait le long du fleuve. La quasi totalité de la population parlait le mandingue, une langue qui m’était inconnue.
L’autre est souvent motif de mépris, de dédain, de préjugés, de calomnies, de spéculations, de sujets de discussion pour avoir quoi se mettre sous la dent, alimentant et agrémentant des débats sous l’arbre à palabres, autour du fourneau au dessous de la théière, autour d’un cercle à côté du puits. Mais à Kissing kesséng, je ne lisais aucune animosité dans le regard et l’expression faciale des villageois, aucune retenue. Au contraire, à ma grande surprise, après quelques échanges de formalités avec mon directeur d’école, Monsieur Diakham, il reçut devant moi un appel de l’association des parents d’élèves ; ces derniers voulaient me voir, prendre contact avec le nouveau affecté. Le directeur avec un sourire aussi clément que complice me railla :
– Le jeune a vraiment de la baraka pour être affecté ici à Kissing kesséng. Je suis à ma dixième année dans ce village du fleuve et je n’ai encore jamais vu un instituteur regrettant d’avoir mis les pieds un jour dans ce village béni. Je t’invite, mon fils, à louer ton Seigneur.
J’étais à la fois surpris par son discours et le fait qu’il m’appelait affectueusement « mon fils ». C’est vrai, il était même plus âgé que mon père, mais sur le plan administratif, je n’étais pas sensé être son enfant, mais un agent de l’État affecté dans un établissement où, par hasard(s’il existe) il en était le directeur.
Je dus revenir de mes pensées et analyses internes et faire des efforts pour rester dans la même dynamique de politesse. En réalité, ce n’était guère ce qui me manquait.
– Ah! Directeur, mon père !
Je ne savais pas si je devais dire « directeur » pour respecter son rang ou l’appeler « père » pour lui rendre l’affection déclarée. Alors, je trouvais important d’associer les deux en les utilisant dans une même phrase. Ce qui n’avait pas échappé à sa vigilance. Il en avait ri discrètement sans rien dire.
– Je sais, avais-je précisé, la phrase est trop chargée. Laissez-moi la simplifier.
– Alors, je t’écoute mon enfant ! Je suis pressé de savoir comment tu comptes t’y prendre ?
Et là, il venait de m’orienter et peut-être même à son insu .
– Je dirais simplement : père directeur !
– En tout cas, Monsieur Diakham est preneur de toutes options.

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Le président des parents d’élèves arriva avec deux hommes et une femme. Ce fut une discussion qui ne laissait planer aucun doute ou manque de confiance. Il y avait beaucoup d’amabilités, de sourires, d’enthousiasme.
Goudiaby, le président, me proposa une chambre chez lui, celle de son fils parti en France depuis quelques mois.
– Tu n’apportes rien, Monsieur Cissé : ni lit, ni éponge, ni riz, ni sucre. Il y’a tout, grâce à Allah! Nous ne demandons qu’une chose : nous adopter, nous prendre comme nous sommes, quant-à nous, c’est déjà fait : tu appartiens déjà à la famille. Tu vibreras et tu te plairas au rythme et au cœur mandingue. Tu aimeras nos plats, notre musique, nos danses ; tu es jeune, tu pourras même un jour épouser une de nos filles. Qui sait!
– Je ne sais pas vraiment par où commencer : tellement je suis bien reçu, honoré, entouré. D’où je viens, celui qui mérite votre attention, c’est celui-là même qui vous considère. Et j’ai des yeux, des oreilles. J’ai vu et j’ai entendu. Je ferai de mon mieux pour mériter la confiance naturelle portée en moi et je prierai pour que Dieu nous accorde longue vie pour que ce qui vient de se sceller puisse s’éterniser. Machalla.
– Tu as bien parlé, monsieur Cissé ! Une petite précision, j’ai ma fille cadette dans ta classe. Elle s’appelle Sagar.
– Sagar! Sagar! Avais-je répété comme si je connaissais déjà l’âme de celle dont le nom prononcé était la première élève à connaître virtuellement

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