Les classiques employaient la littérature pour dispenser des leçons de morale ; les lyriques s’en servaient pour s’épancher ; les romantiques engagés s’y appuyaient pour se révolter ; les réalistes l’utilisaient pour représenter la réalité, rien que la réalité et toute la réalité (même les choses qui dégoûtent). Les Parnassiens, eux, pensent que tout ceci éloigne l’art de son office originel : la peinture du beau. Pour eux, l’art ne doit servir qu’à l’art. De quelle beauté s’agit-il alors ? D’une beauté dépourvue de toute fonction utilitaire, politique ou égoïste. Voilà pourquoi Gautier disait dans la préface de Mademoiselle de Maupin : « il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid ». Si le Parnassien devait choisir, entre une fleur et des toilettes, ou entre une jeune femme de dix-huit ans à la fleur de l’âge et une femme de trente-neuf ans en état de grossesse très avancée, il chercherait d’abord l’objet ou le sujet le plus inutile (ou en tout cas le moins utile) comme source d’inspiration idéale. À coup sûr, la fleur et la femme de dix-huit ans mériteraient tous ses suffrages, au lieu des toilettes et de la femme pesante. (Ymgx ! )
III. L’IMPERSONNALITÉ.
Exactement comme le réaliste ou le naturaliste, tel un photographe, le parnassien s’interdit toute forme de présence (physique, avisée, visionnaire) dans son oeuvre d’art. Il s’inspire du réel et le représente mais sans qu’il en soit acteur, orateur ou témoin subjectif). C’est pourquoi ces artistes puisent leur inspiration dans des temps très reculés (comme dans »Antoine et Cléopâtre », un texte des Trophées, recueil publié en 1893 par José-Maria de Heredia qui choisit de représenter des personnages historiques) ou encore dans des espaces très éloignés du cadre de vie des hommes dits civilisés (comme dans »Les éléphants », un texte de Poèmes barbares, recueil publié en 1862 par Leconte de Lisle vrai peintre animalier). Ce choix de position retranchée ne fait que confirmer l’objectif de rendre l’art le moins utilitaire possible et de le rapprocher de l’expression de la beauté épurée. Ils peuvent parler de sentiments mais s’épancher le moins du monde, sans y jeter leur »grain de sel », en quelque sorte.
IV. LE CHOIX DE LA POÉSIE.
La presque quasi-totalité des parnassiens s’adonne à la poésie. Qu’est-ce qui peut bien justifier cette prédilection pour ce genre littéraire majeur ? Deux arguments fondamentaux peuvent nous donner raison.
D’une part, il suffit de se rappeler la définition que Paul Verlaine donnait à la poésie : « de la musique avant toute chose ». C’est la poésie avec ses strophes scandées, ses vers ciselés, ses rimes sonorisées, ses rythmes harmonisés, qui s’apparente le plus à la musique, comparée aux autres genres littéraires. C’est bien par elle qu’un artiste atteint le plus la fibre sensorielle des lecteurs, grâce à la conjugaison de deux arts (musique et littérature) dans un même champ de vision, par le biais des descriptions rondement accomplies.
»Petit papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec des jouets par milliers
N’oublie pas mon petit soulier »
CHANSON POPULAIRE.
Ce sont des vers !
»Soumay gneuw tchi yaw
Ropalaan loumouy meuneu naaw
Maakoy geuneu gaaw »
CHANSON DE TITI.
Ce sont des vers !
D’autre part, les parnassiens regrettent la désacralisation de l’art pour des besoins purement personnels ou utilitaristes. Pour lui rendre son caractère sacré, ces écrivains choisissent la poésie (écrite en vers) genre littéraire qui ressemble le plus à l’écriture des textes sacrés (présentés sous forme de versets).
»Wa chamssi waddouhaahaa
Walkhamari izaa talaakhaa
Wannakhaari izaa djalaahaa
Walleyli izaa yakhchaahaa
Wa samaahi wamaa banaahaa
Wal ardi wamaa takhaakhaa
Wa nafssine wamaa sawaakhaa
Fa al hamarahaa foudjourahaa wa takwaahaa… »
SOURATE Al chamssi (le soleil).
Ça ressemble à des vers !
»Notre Père qui est aux cieux
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Que ta volonté soit faite
Sur la terre comme au ciel
Donne-nous aujourd’hui
Notre pain de ce jour
Pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons aussi
À ceux qui nous ont offensés
NOTRE PÈRE (prière chrétienne)
Ça ressemble à des vers !
En un mot, c’est pour la musicalité et la sacralité de l’art que les parnassiens ont jeté leur dévolu sur la poésie, meilleur endroit, olympien à la limite, pour exprimer le beau.
LE MOT DE LA FIN.
Le parnasse a, en fin de compte, révolutionné la littérature telle que perçue ou employée par les courants qui l’ont précédé dans le temps. Si la plupart en faisaient une salle de classe (les classiques), certains une pharmacie ambulante (les lyriques), d’autres un champ de bataille (les romantiques engagés), d’autres encore un dépotoir d’ordures (les réalistes), les parnassiens, eux, s’autoproclament artistes promoteurs de la beauté à l’état pur.