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Lettre au ministre de l’Education nationale

Je vous écris cette lettre ouverte au nom de tous les «handicapés secondaires» qui fréquentent l’école sénégalaise dont la lourde charge d’administrer vous a été confiée par le Tout-puissant. J’utilise cette dénomination «handicapé secondaire» sans pour autant savoir si le terme même est approprié. Mais je suis convaincu que ce que je subis constitue un «désavantage» à la fois physique et mental.
En effet Monsieur, je suis élève dans un lycée public et suis comme tous les potaches, à la seule différence que ne je marche pas comme eux. En d’autres termes, j’ai des difficultés motrices sans avoir besoin d’une chaise roulante. Partout où je me déplace dans la cours de mon établissement, je suis l’objet d’attraction : les élèves ont les yeux fixés sur mes jambes ; ce que je ne leur reproche pas. Par contre, ce qui me fait mal au cœur, c’est le dédain qu’ils semblent avoir contre ma personne.
Mes camarades me charrient. Ils se moquent de ma façon de marcher. L’on chahute quand je prends la parole, jusque dans les salles de classe. On me fuit comme on fuirait la peste. Je suis repoussé et marginalisé. Bref, j’ai le sentiment d’être «un étranger parmi les siens», en référence au titre de l’ouvrage de notre regretté père Sidy Lamine Niass (que le Miséricordieux l’accueille au Paradis firdawsi).
Et des élèves comme moi, il y en a des centaines pour ne pas dire des milliers, (Human rights watch pourra aider à trouver le nombre exact) dans nos écoles, de l’élémentaire au secondaire. D’autres ne souffrent pas de problèmes de jambes. Ce sont entre autres des apprenants, pas aveugles, mais qui ont des yeux différents de ceux des autres, peut-être «trop gros/petits», des enfants/adolescents qui, sans être muets, traînent des difficultés d’expression. C’est le cas des bégayeurs. Tous souffrent de la perception de ne pas être les bienvenus parmi les «gens normaux».
J’ai appris du cours d’un certain M. Mbaye, formateur en leadership, que «pour pouvoir s’intégrer dans un groupe, l’individu doit s’y sentir en sécurité, hors de tout danger physique ou psychologique». Nous voulons appartenir à la deuxième famille que représente l’école et nous y sentir aimés. J’entendais souvent les gens évoquer la fameuse citation de Mère Theresa : «La solitude et le sentiment de n’être pas désiré sont les plus grandes pauvretés.» Et je la répétais nonchalamment, sans vraiment comprendre. Aujourd’hui, je crois avoir une petite idée du sens profond de cette assertion.
Monsieur le ministre, je suis peut-être courageux, un battant, pour le moment. J’ai souvent réussi à faire face, mais beaucoup de mes camarades élèves dans la même situation souffrent au plus profond de leur être et finissent par perdre l’estime d’eux-mêmes. D’autres abandonnent tout bonnement les études. C’est la raison pour laquelle je vous lance un appel ainsi qu’à nos braves enseignants : les autres handicapés bien identifiés étudient plus ou moins dans des établissements spécialisés avec «leurs semblables» et des enseignants formés pour la circonstance. Nous, nous sommes laissés à nous-mêmes, ou du moins c’est l’impression que j’ai.
Alors, pour que nous ayons le courage de rester à l’école, voyez ce que vous pouvez faire !
Vive un Sénégal de paix et prospère !
Saliou YATTE – Professeur d’anglais au lycée de Dodel/Podor !

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