Malgré l’appui de l’Etat et des bailleurs de fonds, la qualité de l’enseignement se détériore à cause d’un environnement peu propice à l’éducation. Dans une région où les taux de scolarisation étaient parmi les meilleurs au Sénégal, l’accès et le maintien à l’école sont compromis pour des milliers d’enfants qui y ont pourtant droit.
Dans ce dossier réalisé en collaboration avec Article 19, le Haut commissariat des Nations-unies pour les droits de l’Homme, Le Quotidien vous fait découvrir l’univers et l’étendu des abris provisoires à Sédhiou et les sentiments des acteurs locaux de l’éducation.
Lundi 8 décembre 2014. Il est 11 heures 45 minutes à Diareng, une bourgade de la commune rurale de Karantaba, située au nord-est du département de Goudomp. Contrairement à la veille, l’astre diurne brille de tout son éclat. Si des femmes ont bravé l’ardeur de ses rayons pour s’adonner à la récolte de leur culture de riz menacé par des animaux en divagation, tel n’est pas le cas des hommes qui devisent en toute quiétude sur des miradors soigneusement implantés sous des arbres au feuillage touffu. Ils ne semblent nullement perturber par le trafic des motos-taxis communément appelé «Jakarta», qui assurent le transport.
Toutefois, l’arrivée d’un inconnu semble déranger la causerie du groupe. Après des salamalecs et suite à notre demande, l’un d’entre eux se proposa de nous indiquer la ruelle qui mène vers le collège de la localité, construit il y a cinq ans. S’ensuivirent des minutes de marche au bout de laquelle nous découvrons un lot de paillotes dans un bosquet. Puis, sont visibles des tableaux noirs suspendus sur les murs, des tables-bancs éparpillés sous un arbre et deux blocs sanitaires, dont les portes sont soigneusement verrouillées. Un décor surréaliste, mais qui indique que nous sommes bien au Collège d’enseignement moyen (Cem) de Diareng.
Le calme plat qui règne en cet endroit isolé est troublé par la présence d’une colonie de chèvres qui, suppléant les élèves, occupent des huttes de palissades en bambous, faisant office de salles de classe. Les bêlements de ces ruminants, mêlés au cri d’oiseaux, se transforment en une aubade discordante dont le lead vocal est un taureau robuste à la robe multicolore qui fait sa démonstration de force sur un amas de sable blanc.
Le désordre occasionné par cette présence des animaux rappelle l’ambiance de l’agitation des potaches qui viennent de boucler une semaine de cessation des cours. Ils réclament, entre autres, des profs de Maths/Svt et la construction de leur collège, dont la remise des clefs devait normalement se réaliser en octobre dernier. «J’ai pris fonction cette année. J’ai trouvé le Cem dans une situation alarmante. Tout est abris. Ceux-ci doivent être renouvelés avec les matériels restant de l’année dernière. Mais les parents ont vendu tous les palissades en bambous. Parce que l’entrepreneur qui a déposé des tonnes de sable les a rassurés qu’il va livrer les nouveaux bâtiments avant l’ouverture des classes. Malheureusement jusque-là, il n’a pas fait la moindre brique. Les élèves sont très mécontents», indique le Principal.
Goudomp traîne un boulet de 495 abris
Son visage dégoulinant de sueur, Younouss Sagna, qui vient de rendre compte à sa hiérarchie, est préoccupé par cette situation d’autant plus que les cours viennent à peine de démarrer dans cet établissement de 12 classes. «Ils vont s’arrêter prématurément avec les pluies précoces», se désole-t-il. A l’image de cet établissement scolaire, des écoles élémentaires, des lycées et collèges de l’académie de Sédhiou présentent le même décor.
Ces abris dits provisoires sont à l’origine de la situation de précarité et de dégradation du cadre d’étude des enfants au Sénégal, qui compte au total 6 763 abris, dont 1 226 uniquement dans la région de Sédhiou. «Le département de Goudomp est celui qui souffre le plus avec ses trois cent vingt-quatre abris provisoires dans l’élémentaire, quatre-vingt quinze dans le moyen-secondaire et seize abris sur dix-sept au prescolaire», informe le coordonnateur régional de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), qui vient d’effectuer une tournée dans cette partie sud du pays.
Pour l’équité et le respect du droit des enfants
Pour Lamine Diémé, l’Etat doit corriger le déséquilibre noté dans la mise en place des infrastructures scolaires à Sédhiou. «Le foisonnement des abris provisoires dans la région notamment à Goudomp est déplorable», dénonce-t-il. Avant de plaider la résorption au plus vite de ce gap qui, selon lui, ne contribue guère à l’amélioration de la qualité des enseignements-apprentissages à Sédhiou. «Le résultat mitigé produit par le système éducatif sénégalais montre une fois encore que le mal est très profond. Les causes sont complexes et diverses en dépit des investissements divers, soutenus et consistants, faits dans le secteur», explique ce militant de l’école sénégalaise sur qui compte l’Ief de Goudomp pour plaider la cause des élèves.
Diémé de faire encore remarquer que «les diagnostics faits lors des Assises sur l’éducation révèlent les maux dont souffre le système éducatif et qui se traduisent, entre autres, par des résultats catastrophiques d’une éducation de très mauvaise qualité (…) Pour la région de Sédhiou, nous pouvons citer quelques principales causes : la baisse de performance du système, un temps d’apprentissage loin des normes établies par le ministère, des heures de travail perdues pour diverses causes (déficit d’enseignants, insuffisance de salles de classe, grèves, fêtes diverses et surtout la prédominance des abris dans la région)». Le coordonnateur régional de la Cosydep est formel : «La prédominance des abris impacte négativement sur la qualité des enseignements-apprentissages en créant dans la région deux rentrées et deux fermetures de l’année scolaire.»
Lors du vote de son budget 2015 à l’Assemblée nationale, le ministre Serigne Mbaye Thiam a semblé minimiser l’impact de la qualité des infrastructures sur les performances scolaires. Il dit : «Au niveau du secteur de l’éducation, l’infrastructure n’est pas l’intrant déterminant pour la qualité de l’éducation. Une bonne formation de l’enseignant, son bon niveau, de bons matériels didactiques et pédagogiques et des contenus d’apprentissage appropriés constituent des intrants de qualité.» Des convictions que les enseignants avec qui nous avons parlé battent en brèche.
Une entrave à la qualité des enseignements-apprentissages
«Les écoles à abris ouvrent tard et ferment tôt. Donc, on peut dire sans se tromper que la qualité des infrastructures entrave la qualité des enseignements-apprentissages. A cela s’ajoute un environnement scolaire peu propice : insuffisance de points d’eau, des blocs sanitaires et une faible proportion d’établissements clôturés ou électrifiés. Tout cela compromet un meilleur accès et un maintien durable de nombreux enfants à l’école», argumente le représentant local de la Cosydep.
Face à l’urgence, il invite l’Etat à accentuer son plan de résorption des abris dans la région de Sédhiou où le taux acceptable de scolarisation commence à redevenir faible. Pour Diémé, l’Etat doit rendre le système performant en continuant toujours d’y mettre des moyens consistants. «Comment pouvons-nous s’attendre à de bons résultats dans ce département, sachant que c’est la qualité des enseignants et des infrastructures qui influent positivement sur les examens ?», s’interroge-t-il outré.
Présent au lycée de Dianamalary pour les besoins de la distribution des prix aux meilleurs élèves, M. Sadio, Principal du Cem de Oudoucar, par ailleurs représentant du Collectif des chefs d’établissement de l’axe Sakar –Diannaba, embouche la même trompette. «Sédhiou baigne dans des abris provisoires : l’exception aujourd’hui, c’est de voir des constructions toute faites dans des écoles», a-t-il souligné.
Au plan du mental des élèves, l’on fait remarquer qu’un enfant qui fait six ans dans une école primaire bien faite, avec des bâtiments en dur et qui se retrouve par la suite dans un collège où lycée en abri, peut être démotivé. Quant aux jeunes professeurs qui viennent de Dakar ou de l’intérieur du pays, ils sont complètement abattus. «Je ne parle pas pour dire que les professeurs veulent avoir l’impossible, mais je crois qu’il doit y avoir un minimum pour les enseignements-apprentissage», plaide M.Sadio. Qui indique que parfois «l’abri est tellement mal fait au point que les enseignants et les élèves soient pressés d’en sortir. Donc, ça pose un problème de gestion des enfants. Même quand la cloche sonne pour siffler la fin de la récréation, ils ne sont pas pressés de retourner dans les abris qui sont souvent à ciel ouvert, sans porte. Et la nuit, ils sont transformés en dortoir d’animaux».
Dans tous les cas, un lieu d’apprentissage doit être un cadre serein, propre et bien sécurisé, mais avec les abris, tel n’est pas le cas. Le Collectif des chefs d’établissement, qui déplore ainsi cette situation, se dit prêt à accompagner l’académie pour inverser la tendance.
Une proximité agressive
Les abris provisoires sont nés dans un contexte de démocratisation de l’enseignement encouragé par le recrutement massif d’enseignants dans le système. L’objectif est de réduire l’écart entre le centre du pays et les régions périphériques où le taux de scolarisation était relativement faible. Seulement, le travail s’est effectué dans la précipitation. «On a procédé à des créations d’écoles sans aucune planification des ressources humaines, matérielles et financières. C’est ce qui fait que beaucoup d’enfants se trouvent encore dans des abris provisoires dans certains Cem et lycées», explique le ministre de l’Education devant les députés.
Ce qui pousse cet enseignant à se plaindre des agissements des hommes politiques qui ont profité de cette situation pour créer des écoles dans le seul but de satisfaire une clientèle politique.
Mais sans s’en rendre compte, les parents ont également contribué à ce désastre du secteur de l’éducation. Eux qui souhaitent voir leurs enfants étudier sous leurs yeux. «Les parents d’élèves sont en grande partie responsables de cette situation. Nous ne voulons pas que nos enfants aillent loin de nous pour apprendre. Pour les maintenir à côté de nous, nous demandons l’implantation d’un Cem chez nous», reconnaît Koumbamang Danso, président de l’Union régionale des associations de parents d’élèves de Sédhiou. «Les parents s’engagent du coup à prendre en charge la construction des abris et l’Etat accepte», fait-il encore savoir.
Maintenant, M. Danso invite ses camarades parents d’élèves à resserrer la ceinture pour investir encore. «Les parents doivent tout faire pour respecter leurs engagements pour ne pas sacrifier la carrière de leurs enfants. Il faut se mettre au travail en attendant que l’Etat mette en place des locaux plus adéquats», invite Danso. Tout en déplorant néanmoins «le manque d’appui des collectivités locales qui doivent aider la communauté à construire des écoles».
D’autres parents d’élèves ont néanmoins indiqué que leurs efforts sont souvent anéantis par les intempéries et les feux de brousse. C’est le cas aux lycées de Madina Wandifa et de Dianamalary où un feu de brousse a réduit en cendres des abris, des tables-bancs, des tableaux. A Ndiama et à Nimzatt, c’est une tornade qui a démoli les constructions financées par les parents d’élèves. Dans une région classée parmi les plus pauvres du pays (53,6% de la population vivent dans la pauvreté), il faut s’armer d’un moral d’acier pour se remettre au travail. Résigné, un parent d’élève gémit : «Je ne sais plus ce qu’il faut faire.»
Irruption des animaux en plein cours
La sécurité reste aussi précaire dans les abris provisoires, véritables chasses gardées des serpents et autres scorpions. «Les enfants sont exposés à la rigueur du climat. En tant de fraîcheur, tous les élèves grelottent. Le vent qui charrie la poussière les empêche même d’écrire. Parfois, je suis obligé de les entasser dans un coin pour éviter les rayons du soleil qui tapent sur leurs cahiers», confie amère Mme Mané, une enseignante de l’école élémentaire d’Oudoucar. Elle ajoute qu’à la descente, elle et ses élèves sont méconnaissables à cause de la poussière. «Il nous arrive d’avoir la visite des animaux en plein cours. A maintes reprises, le cours est perturbé par l’irruption d’un serpent», renchérit son collègue du Cem de Koussy Amath Faye. Avant de raconter cette anecdote : «Je faisais cours un jour, un élève a aperçu un serpent sur le toit et il a crié. C’était le sauve qui peut. En 2011, grâce à la vigilance des élèves, nous avons pu tuer un cobra qui a trouvé refuge dans la salle.»
Toujours dans cette lancée, M. Thiam, un professeur de Lettres du même établissement, rappelle qu’une maîtresse «a été piquée par un scorpion en plein cours. Elle a eu du mal à retenir ses larmes malgré la présence de ses élèves». Ce professeur, originaire de Kaolack, de s’interroger à propos de cet incident qui aurait pu être mortel : «Je ne pense pas que les élèves de cette maîtresse puissent se ressaisir après cette débandade qui a pris des minutes.» L’année dernière aussi, la découverte d’un gros serpent a été à l’origine d’une hystérie collective des filles, nécessitant l’arrêt des cours au Cem de Yarang.
Aussi, a-t-on appris que ces abris à la merci des intempéries retardent le démarrage des cours et précipitent la fin de l’année. «Une saison pluvieuse longue de 5 mois, de juin à octobre, affecte négativement le quantum horaire surtout dans les établissements en abris provisoires. Ce qui réduit considérablement les capacités d’investissement des communautés et des collectivités dans les processus de développement du secteur éducatif», renseigne un rapport de l’Inspection d’académie de Sédhiou.
Même si le proviseur du lycée de Dianamalary se dit «convaincu que les abris provisoires ne sont pas un obstacle fondamental, mais un élément déterminant», il n’en admet pas moins que des efforts doivent être faits pour les éradiquer. Omar Bocoum, qui vient d’organiser une journée d’excellence pour susciter de l’émulation au sein des élèves, dispose au total une dizaine d’abris sur les 16 salles de cours de son établissement. Mais dans ce lycée de Diannamalary, les abris sont améliorés. Le tableau est fixé sur un mur en dur. «Ces travaux nous ont coûté plus de cinq cent mille francs», renseigne pour sa part le surveillant général Diouma Baldé, qui déplore plus loin le manque d’appui de l’Etat. «Depuis la création du lycée, nous n’avons pas bénéficié d’une seule construction», confie-t-il.
Ousmane Demba
lequotidien.sn