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Correction Bac Français 2017 – Dissertation entièrement rédigée

« À QUOI BON DES POÈTES EN TEMPS DE DÉTRESSE ? » se demande Friedrich Holderlin dans Pain et Vin.
Vous répondrez à cette question de manière organisée et en vous appuyant sur des exemples précis. D’abord vous présenterez des situations de détresse en montrant en quoi la poésie a semblé impuissante à agir. Ensuite, vous démontrerez pourquoi, malgré tout, elle ne signifie pas l’inaction. Enfin, vous direz en quoi consiste la fonction véritable de la poésie.

Depuis qu’Adam et Eve ont été parachutés sur terre, on a l’impression que le mal semble y avoir élu domicile et que leurs descendants (le commun des mortels en tout cas) continuent d’expier leur faute originelle. Dans diverses activités auxquelles l’homme sait s’adonner, on cherche encore la voie, la solution qui mène vers une vie apaisée ; dans cette entreprise, des écrivains en général, des poètes en particulier ne sont pas en reste. Pourtant, l’activité créatrice de ces derniers semble être minimisée au point que, dans cette mouvance de déconsidération, certains comme Friedrich Holderlin se demandent : « à quoi bon des poètes en temps de détresse » ; autrement dit, celui-ci ne voit pas trop l’utilité de l’activité créatrice poétique lorsque l’être humain a besoin d’assistance en période de troubles. Quelle est donc la fonction du poète lorsque l’humanité est dans le désarroi ? Pour répondre à cette question, nous démontrerons que, face à des situations de détresse humaines, des créations poétiques n’ont rien résolu. Puis nous justifierons toutefois que cette indifférence n’est pas synonyme d’inaction. Enfin, nous dirons ce qui nous semble être la fonction véritable de la poésie.

Certains poètes ont délibérément choisi de se retirer des affaires publiques puisque, pour eux, le rôle de l’artiste consiste à se consacrer exclusivement à l’art, un art complètement désintéressé. Pour y arriver, ces poètes impersonnels peignent des objets, esquissent des portraits, représentent des milieux, le tout dans un temps ou un espace reculé, très éloigné, en marge de la civilisation dite moderne. Ainsi, le blason de l’art à l’état pur est redoré en le limitant exclusivement à la peinture du beau dans un style qui va avec. C’est pourquoi le sujet (l’inspiration) devient banal au profit d’un effort stylistique (la transpiration) qui trouve sa perfection dans la conception même de la forme du poème. Les parnassiens, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, s’adonnent ainsi à l’art (la littérature) pour l’art (l’expression de la beauté). Pour preuve, nous comprenons mieux ces paroles de son chef de file (Théophile Gautier en l’occurrence) qui tenait ces propos devenus célèbres : « il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid » ; ce poète voulait dire par là que moins l’art est utilitaire (engagé, didactique, personnel), plus il est en devenir et garde tout son charme, toute la raison de son entreprise, toute son éternité. Ces artistes semblent donc donner raison à Friedrich Holderlin, comme si le poète semblait impuissant face à la détresse humaine ; mais c’est, en réalité, pour mieux se consacrer à une activité créatrice poétique au sens propre du terme.

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Les parnassiens ne sont pas les seuls à ne pas exprimer de la solidarité au commun des mortels exterminé par le mal. Les deux guerres mondiales ont fauché plus d’un ; ni les traités, ni les conventions, ni les conférences (ceux de Yalta ou de Bandoeng et consorts) ont résolu quoi que ce soit véritablement, et encore moins la littérature. C’est surtout durant l’entre-deux-guerres guerres que, parmi une génération de poètes si épris de révolution d’idées, d’ordre thématique ou stylistique, certains ont renouvelé ce genre en l’asservissant à une activité créatrice inconsciente, automatique, indépendamment de la raison et complètement indifférente aux bruits du dehors comme à toutes sortes de contrainte. En effet, convaincus que l’art est moins l’écriture d’une aventure que l’aventure d’une écriture, ces dits surréalistes sont restés sourds et muets face à la détresse des hommes. Ces artistes se mettent plutôt à explorer les arcanes de leur sentiment en déraison ou de leur fantaisie verbale dont ils font la peinture avec une fidélité audacieusement exacerbant. Par exemple, Robert Desnos écrit un poème qui commence par « j’ai tant rêvé de toi » juste pour y dresser le portrait d’une femme qu’il aime moins pour ce qu’elle sera dans la réalité que pour ce qu’elle est dans son rêve, juste pour démontrer le confort de son monde imaginaire préféré à la cruauté du monde réel tellement horrible à ses yeux. C’est justement cette peinture du surréel qui justifie, d’une certaine manière, l’impuissance de ces poètes face à la détresse humaine.

Pour tout dire, il existe des artistes si détournés d’une quelconque utilité de l’art qu’on aurait toutes les raisons de croire que, face à la détresse humaine, le poète est totalement impuissant ; mais est-ce que ce n’est pas d’aller trop vite en besogne que de dire que l’activité créatrice poétique est synonyme d’inaction ?

En effet, nous connaissons deux façons, parmi plusieurs, de combattre la détresse et auxquelles d’autres poètes s’adonnent à coeur joie ; premièrement, ce sont surtout les écrivains sentimentaux qui peuvent nous donner raison à juste titre. Combien de fois ceux-ci sont-ils abattus par un coup du sort ? Est-ce qu’ils ne s’en relèvent pas par le secours d’une activité créatrice poétique de circonstance ? En plus de la triple vertu de la nature (consolatrice des peines, conservatrice des souvenirs et inspiratrice des vérités métaphysiques) où ils ont l’habitude de se réfugier, si ces poètes ont tenu debout, c’était (et jusqu’à nos jours), grâce à leur équilibre retrouvé dans l’expression même de leur sentiment. Ils parviennent à se départir de leur souffrance personnelle par l’évocation de leur rêve, de leur souvenir (heureux ou malheureux), l’exposition de leur moment de faiblesse et par la ferme pensée qu’à travers cette entreprise littéraire, ils réussiront à divorcer d’avec leur peine commune à tout mortel. Nous en avons l’illustration avec Lamartine, lorsqu’on lui demandait à quoi lui servait son art, et qui avouait : « ce n’était pas un art mais un soulagement de mon coeur » comme pour nous apprendre que son activité créatrice poétique était moins destinée à l’ornement qu’à un puissant succédané d’un moi au bord de la détresse par le moyen d’un lyrisme étrangement contagieux et magnifiquement guérissant.

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Deuxièmement, si le lyrisme est destiné à affronter l’adversité et combattre un mal personnel, d’autres écrivains arrivent au même but, et peut-être mieux encore, puisqu’ils délivrent du mal ou de l’asservissement des millions d’individus : ce sont les écrivains engagés. Quand les Noirs avaient fini par comprendre que la colonisation (qui apporte un semblant de civilisation pour emporter, en contrepartie, des ressources naturelles inestimables, dans la douleur) n’était en réalité qu’une pâle copie finement retouchée de l’esclavage (qui apporte de la pacotille pour emporter, en échange, des hommes valides, dans la douleur), leurs intellectuels en général, les poètes de la négritude en particulier ont fait de leur plume un véritable instrument de libération. Il s’agit d’une littérature qui, d’une part, puise son inspiration dans la culture pour affirmer une identité bafouée et, d’autre part, dans l’actualité brûlante pour montrer le vrai visage du colonisateur qui vole, viole et violente. En guise d’exemple, dans Cahier d’un retour au pays natal, et dès les premiers vers, Césaire s’adresse aux Blancs avec une virulence anaphorique sans commune mesure :
« Au bout du petit matin
Va-t-en ! lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache
Va-t-en ! Je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance
Va-t-en ! mauvais gris-gris, punaise de moinillon » ; c’est pour offrir une bouffée d’oxygène aux Noirs déportés, colonisés, oppressés, en détresse.

En somme, nous voyons que la poésie est bien capable de réagir face à la détresse, soit pour libérer l’homme (pris individuellement) d’une entrave qui l’étouffe, soit pour apporter une bouffée d’oxygène à toute une communauté victime de l’asservissement ; toutefois, existe-t-il d’autres fonctions que nous pouvons assigner à l’activité créatrice poétique ?

En effet, la poésie peut offrir aux yeux de son lecteur une morale, une leçon à tirer derrière chaque iconographie. Cette prérogative a comme traversé tous les siècles pendant lesquels, même en célébrant la grâce d’une femme, le poète de la Renaissance, de l’Humanisme, du symbolisme, donne à l’art cette orientation à la fois artistique et moraliste ; ceux que nous croyons réussir à avoir atteint le sommet de cet art, ce sont les symbolistes plus particulièrement, eux qui ont su démontrer avec beaucoup d’adresse que la fonction véritable du poète réside dans cette entreprise de signification pour laquelle ils sont passés maître grâce à l’observation et les correspondances qu’ils découvrent derrière chaque objet familier. Par exemple, à mi-chemin entre un romantisme quasiment stoïcien et un symbolisme très significatif, dans  »La mort du loup » (Les Destinées, 1864), Alfred de Vigny représente une scène de chasse qui anoblit l’animal, animalise l’homme et enseigne des vérités dont lui-même a été témoin. Aussi impuissant soit-il face à ce spectacle désolant, le poète arrive pourtant à se solidariser grâce à la puissance verbale corroborée par une morale à la limite religieuse, montrant par là que l’art est l’expression conjuguée d’une morale et d’un style propre.

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L’autre face cachée de ce que nous croyons être la véritable fonction de la poésie semble souvent avoir été minimisée. En effet, on oublie que sa définition ne peut pas, avant toute chose, se passer de la conception elle-même du vers forgé. Avant que le poète ne soit artiste, il est d’abord artisan du verbe. La matière ne devrait donc pas l’emporter sur la manière, c’est-à-dire la langue, cette forme impérissable et constamment enrichie. Et cela, la plupart des poètes comme les parnassiens (ces promoteurs de l’art pour l’art) l’ont si bien compris qu’ils ont fait de la beauté (plastique, esthétique) une priorité bien au-dessus de la thématique. Celle-ci est comme dépossédée de ses attributs utilitaires, c’est-à-dire dire didactiques, engagés, sentimentaux… Par ailleurs, même s’ils donnaient aux générations de poètes du XIXème siècle l’impression d’exagérer également, les classiques promouvaient déjà et nonobstant cette  »marque de fabrique ». Ces écrivains faisaient de leur art un moyen d’instruire et de plaire certes, mais ils ne négligeaient pas pour autant ce qu’ils croyaient être le fondement même de ce postulat : le style d’abord, sous peine de n’obtenir ni les suffrages de l’Académie française qui veillait au grain, ni l’approbation du grand public si friand des choses bien dites. C’est d’ailleurs, à titre illustratif, ce qui poussa le grand rhéteur français Nicolas Boileau à prodiguer dans son Art poétique (1674) des conseils tels que, parmi plusieurs, le suivant :
« Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain »
comme pour dire que l’une des fonctions essentielles de la poésie réside dans la conception même du vers.

En définitive, certains poètes (comme les parnassiens et plus encore des surréalistes) semblent militer en faveur des propos de Friedrich Holderlin pour qui l’activité créatrice poétique n’est pas vraiment capable d’agir contre la détresse humaine. Toutefois, contre celle-ci, ce n’est pas une raison suffisante pour déclarer son impuissance puisque, du point de vue de l’homme pris individuellement (l’écrivain lyrique plus précisément) ou considéré comme un être social ou racial (l’artiste négro-africain particulièrement), la poésie sait se montrer apte à agir contre le mal. Par ailleurs, à notre humble avis, ce que nous considérons comme fonctions véritables du genre poétique sont d’ordre moral et surtout esthétique. Est-ce que, justement, les autres genres littéraires réunissent toutes ces fonctions autant que la poésie ?

Issa Laye Diaw
Donneur universel

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