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Pourquoi la télévision sénégalaise doit diffuser « Kemtiyu, Cheikh Anta »

Voilà déjà plus de deux mois, suite à un violent choc affectif né de ma découverte et d’une ingurgitation quasi-boulimique du film « Kemtiyu, Cheikh Anta » d’Ousmane William Mbaye et de Laurence Attali, j’ai lancé une pétition adressée au Président Macky Sall et au ministère de la Culture.

Dans cette pétition je demande à l’État du Sénégal de s’impliquer fortement dans la vulgarisation du premier film/documentaire qui retrace les grandes lignes de la vie du savant sénégalais Cheikh Anta Diop, afin de lui donner une grande résonance nationale. À ce jour nous sommes près de 3 000 personnes à espérer une réponse des autorités.

Messieurs, notre demande vous parait-elle inacceptable, irréalisable ou même insensée ? Elle vous est destinée car vous êtes les garants de la sauvegarde et la transmission de l’héritage culturel.

Pourquoi une diffusion nationale, me direz-vous, Monsieur le Président ? La réponse est simple : parce que voilà déjà plus d’un an que « Kemtiyu » est sorti en avant-première, en petit comité, en mai 2016 au théâtre Daniel Sorano à Dakar et que cependant la grande majorité des sénégalais n’a pas encore vu le film, et en a tout au plus vaguement entendu parler. Nous sommes nombreux à penser que cela n’est pas normal !

Responsabilité des dirigeants face au devoir de mémoire

Mais en quoi une diffusion nationale de « Kemtiyu » est-elle vraiment importante ? Ça sert à quoi ? Est-ce uniquement pour que nous Sénégalais, Africains puissions, le temps d’une communion nationale télévisuelle, nous enorgueillir d’avoir eu notre Super Savant Cheikh Anta Diop qui au moment où le débat sur une possible indépendance des colonies françaises d’Afrique faisait rage a eu le courage – certains diront le « culot », d’autres « la folie » – de clamer haut et fort que les peuples de l’Afrique sont à l’origine de l’une des civilisations les plus anciennes et les plus brillantes que l’humanité ait connues[1] ?

Alors oui, bien sûr pour beaucoup d’africains cela a fait de l’homme Cheikh Anta Diop le porte-étendard de révolutions africaines auto-proclamées, une illustration d’une affirmation exacerbée de l’identité africaine ou un potentiel refus de soumission à l’Occident. Mais est-ce vraiment là l’objet de notre pétition ?

Je dis que non ! cette pétition vise à rappeler à nos dirigeants leurs responsabilités face au devoir de mémoire.

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Besoin d’une identité forte

La réalité d’une pétition s’est imposée quand j’ai découvert que des acteurs du monde culturel avaient déjà tenté de convaincre les autorités sénégalaises de la nécessité de valoriser « Kemtiyu » en le diffusant à la télévision nationale, pour qu’un maximum de nos compatriotes puisse le voir, et que leur tentative fut vaine. Cela n’honore pas la République du Sénégal ! Il s’agit de symbole, d’héritage et de patrimoine. Il s’agit de ce qui nous unit et nous rend plus fort. Nous ne pouvons pas nous comporter comme des autruches, mettre la tête dans le sable et puis attendre que ça passe, prétendre que ce n’est pas important. Non ! nous ne pouvons faire cela.

Nous devons nous montrer digne de notre héritage. Les honneurs que le Sénégal a rendu à Cheikh Anta Diop ne sont pas à la hauteur du travail titanesque qu’il a accompli. Nous pouvons et devons faire mieux.

Notre jeune République a besoin d’une identité forte représentée par des symboles forts ! Nous avons besoin de nous construire notre propre récit national afin de savoir qui nous sommes et ce que nous voulons devenir. Nous ne cessons de réclamer avec force des droits au reste du monde. Nous ne cessons de réclamer le droit à la dignité et à la reconnaissance de notre identité et de notre histoire. Pourquoi le monde nous donnerait-il ce droit si nous-mêmes le bafouons ?

Cheikh Anta Diop, un exemple pour la jeunesse

N’avons-nous pas reproché au président Macron d’avoir dit que le défi de l’Afrique est « civilisationnel » ? Le temps des reproches fini, nous devons organiser les actions.

La diffusion de « Kemtiyu » à la télévision nationale est primordiale ! De surcroît, nous pensons que le président Macky Sall et le ministère de la Culture doivent prendre des mesures concrètes en ce sens car oui, c’est important ! C’est important pour le Sénégal et pour l’Afrique qui va mal.  C’est important pour la jeunesse qui n’a plus de repères et qui a du mal à trouver son identité. La faute à qui ? Cette jeunesse qui représente l’avenir prend le large, vide les territoires désœuvrés et choisit de défier la mort en Méditerranée pour aller s’inventer une vie hypothétique ailleurs. La faute à qui ?

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Ceux d’entre nous qui avons goûté aux promesses de l’Occident et une certaine tranquillité de la vie, sommes souvent partis pour un ticket sans retour ! Si l’ancêtre Cheikh Anta était là, il serait profondément atterré ! Lui, son doctorat en poche et le savoir plein la tête, avait choisi de retourner s’installer à Dakar pour y monter, en dépit des maigres moyens dont il disposait, son laboratoire de datation au Carbone 14. Quoi de plus beau comme exemple à offrir à la jeunesse ?

Un esprit libre, de la trempe de Thomas Sankara

Malgré les difficultés rencontrées par les auteurs de « Kemtiyu, Cheikh Anta Diop » pour réunir des témoignages et documents authentiques de l’époque, ce film est un formidable outil que nous devons nous approprier et transmettre aux générations futures. Il contribue sans aucun doute à dépoussiérer un pan de l’histoire contemporaine africaine en redonnant vie à l’un de ses plus notables protagonistes. De « Kemtiyu » je retiens un enseignement, je l’avoue, avec un ressenti très personnel : Cheikh Anta Diop était un esprit libre, de ceux de la trempe de Thomas Sankara. Il nous a exhorté à questionner le savoir dominant et à apprendre à penser par nous-mêmes.

Finalement, il est important de rappeler que depuis mai 2016, « Kemtiyu », qui est à mon sens un travail de mémoire universel, a été diffusé par certains médias français et internationaux. Le film a valu à ses auteurs de nombreuses récompenses en Afrique et dans le reste du monde. Le Sénégal ne peut pas être en reste ! Au nom des nombreux signataires de la pétition, j’invite les autorités sénégalaises à participer à un grand mouvement citoyen pour faire vivre sans cesse et sans relâche, la mémoire de « l’ancêtre » Cheikh Anta Diop.

 

[1] Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Culture : De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui, Présence Africaine, Paris, 1954.

Par Dieynaba Sar (Via Jeune Afrique)

Dieynaba Sar est franco-sénégalaise, professeur d’anglais à Bordeaux (France). Passionnée de culture et de politique, elle est à l’initiative d’une pétition pour la diffusion du film documentaire « Kemtiyu, Cheikh Anta Diop » sur les chaines nationales au Sénégal.

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