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L’Université Virtuelle du Sénégal : une farce ? (Par Cheikh Tidiane Mane)

Dakarmidi – Créée en grande pompe par  le décret n° 2013-1294 du 23 sept 2013 et annoncée comme la solution à l’accueil des bacheliers sénégalais de plus en plus nombreux, l’U.V.S montre aujourd’hui ses limites. Les jeunes inscrits à cette université ne savent plus à quel saint se vouer. Ils sont sacrifiés à la fleur de l’âge alors qu’ils ne demandent qu’une chose : une bonne éducation.  Les innombrables manquements nous poussent à tremper notre plume pour saisir la cause de cet échec de l’université sénégalaise à caractère numérique.

Plusieurs arguments peuvent être avancés mais nous allons nous limiter à quatre d’entre eux qui semblent pour nous les plus pertinents :

  • La précipitation :

Les problèmes rencontrés par les étudiants relèvent de la précipitation de l’Etat sénégalais qui a voulu résoudre le déficit criant d’infrastructures universitaires. L’UVS semble être la solution pour prendre en charge le nombre croissant des nouveaux bacheliers, de 2.000 étudiants en 2014, elle comptera près de 22.000 étudiants en 2018. Selon l’Etat sénégalais, l’U.V.S permettra de désengorger les universités comme Cheikh Anta Diop qui comptait à elle seule une population avoisinant 80.000 étudiants. Les bases solides à une telle entreprise devaient d’abord  être posées par la construction d’infrastructures suffisantes pour accueillir ces bannis de l’université traditionnelle, par la formation des professeurs et des  tuteurs à l’enseignement à distance, par la disposition d’outils numériques de qualité et l’accès à une connexion internet de très haut débit

  • Adaptation difficile des étudiants :

Bon nombre des étudiants se sont trouvés à l’U.V.S à faire des formations qu’ils n’ont pas souhaitées dans leur demande d’orientation. Le cas de ces étudiants de Mbour dans la région de Thiès interviewés par le journal le monde témoigne de leur calvaire. Des étudiants scientifiques sont orientés dans  des filières en sciences humaines et sociales (sociologie, géographie, droits) alors que d’autres qui n’ont aucune affinité avec certains disciplines sont orientés bon gré mal gré. Ce qui débouche sur une adaptation difficile et encouragent beaucoup d’étudiants à arrêter leurs études à mi-chemin. D’ailleurs le coordonnateur de l’U.V.S, Moussa Lo, confirmait récemment qu’au bout de trois ans, le taux d’abandon lié à une difficulté d’adaptation des étudiants était de plus de 30%. Ceci nous pousse à penser que le seul but de l’Etat est de désengorger les autres universités qu’’importe la manière. On ne se soucie pas des préférences des étudiants. L’essentiel c’est qu’’ils soient orientés et le tour est joué.

  • Le manque d’encadrement :
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L’objectif de l’U.V.S est de favoriser une autonomisation des étudiants par rapport au système traditionnel ou les cours se faisaient en présentiel dans lesquels le professeur donnait l’essentiel des savoirs à son étudiant. Cependant cette rupture paradoxale qui devait se faire progressivement, finit par être un choc brutal qui  fait des ravages au niveau des étudiants. Le pic de la paradoxalité est le mode d’examen qui se fait sur table alors que tout était censé être numérique.

Les étudiants fustigent le manque de tuteurs et l’absentéisme répété de ces derniers qui constituent un frein pour recevoir un encadrement de qualité et une culture numérique éducative. En plus de ce manque, ils constatent, la non-correction de leur TD, les retards et restent des mois pour pouvoir disposer de leurs notes. A l’heure même où j’écris ces lignes, les étudiants de la cohorte 2016-2017 attendent toujours leurs résultats des premiers et deuxièmes semestres. Et le fait le plus saillant reste le redoublement obligé de ces étudiants dû à ces retards : ceux qui devraient être en master sont en licence 3 ; ceux de licence 3 en licence 2 ; ainsi de suite.

Il est important de souligner ici que l’Etat sénégalais ne recrute plus suffisamment de formateurs, de professeurs ou d’enseignants. Le manque d’éducateurs est constaté dans tous les cycles de l’éducation nationale. Ceci est la conséquence des ajustements structurels dans les années 90 et du  manque de volonté de l’Etat qui ne recrute plus pour alléger ses dépenses. Des dépenses, il faut le dire, que l’Etat préfère mettre dans des activités qui leur permettront de briguer un autre mandat alors que tout le secteur éducatif est malade, hospitalisé et sous perfusion de promesses non tenues depuis des années.

  • Les dysfonctionnements des outils de travail :

Un enseignement à distance avec des outils de travail de mauvaise qualité constitue le summum de cette farce. Alors qu’au lancement de cette campagne, l’U.V.S était présentée comme « un modèle pédagogique innovant basé sur les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) » avec comme slogan : « un étudiant, un ordinateur, une connexion ». Les dysfonctionnements sont nombreux, la majeure partie des ordinateurs ou des tablettes sont en panne au bout d’un moment et les étudiants mettent des mois pour pouvoir les dépanner. Ceux qui sont à l’intérieur du Sénégal sont obligés de les acheminer à Dakar chez le fournisseur pour des réparations. Ce programme financé par l’Etat sénégalais en partenariat avec la Banque Mondiale ne répond pas encore aux attentes des étudiants qui se posent un certain nombre de questions : si réellement l’Etat sénégalais a mis les fonds nécessaires dans ce programme ? Sinon comment expliquer la mauvaise qualité de l’ensemble de ces outils numériques mis à leur disposition ?

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Toutefois, loin de nous l’idée de rejeter les quelques efforts de l’Etat dans la mise en place d’un système adéquat pour la  prise en charge du flux considérable de nouveaux bacheliers. Ce serait évidemment de la mauvaise foi. Nous les invitons seulement à prendre en charge convenablement notre éducation nationale. Ce que nous déplorons c’est la précipitation dans cette entreprise cruciale pour l’avenir de l’enseignement supérieur sénégalais. Précipitation, qui est à l’origine de tous ces problèmes. L’Etat sénégalais a la lourde tâche de rectifier le tir pour stopper le nombre d’abandons constaté chaque année. L’Etat ne doit pas lésiner sur les moyens pour la réussite de ce projet car il y va de l’avenir de ces 22 000 étudiants annoncés pour cette année 2018 et de l’éducation en général. Le budget colossal (40%) affrété à l’éducation nationale doit se refléter dans la qualité et la survie de ce bien commun qui doit être le miroir de notre cher Sénégal. Rien n’est chère quand il s’agit de l’éducation, la condition d’Abraham Lincoln est à méditer : « Si l’éducation coûte chère, essayez l’ignorance ».

Cheikh Ahmadou Tidiane Mané

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