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De la nécessité de reprendre toutes les épreuves du Bac 2017 (Par Cheikh G. Diop)

Les derniers développements dans l’affaire des fuites aux épreuves du baccalauréat session 2017 me font penser à ce passage lu quelque part :« Quelque part dans la jungle un buffle se débat sous les mâchoires et griffes d’une meute de prédateurs, il puise dans ses réserves pour rester en vie, se relever et poursuivre son chemin mais ils le tiennent à la gorge, aux tripes. Ce soir il servira de diner… »

Car ici comme ailleurs à chaque crime son coupable, ou ses coupables et il faut les trouver à tout prix avant que les esprits ne s’échauffent avant que la colère qui se rumine ne se déverse dans la rue, avant que le chao ne s’installe. Dans la triste, mais non surprenante, affaire de fuites dans les épreuves du BAC 2017, le coupable parfait semble être le directeur de l’office du Bac M Babou Diaham. Des voix s’élèvent de tout part pour réclamer sa tête ; le pauvre, je suis tenté de dire, ils le feront payer pour un crime dont nous sommes tous responsables.

S’il y a crime, je veux dire fuite, il est nécessaire que les responsabilités soient situés, que des sanctions soient prises et au besoin que des reformes soient entreprises pour exorciser les démons du mal et faire en sorte que plus jamais pareille situation ne vienne ternir la crédibilité de ce bac qui nous est si cher. Mais au pays du « Lidienti* et du maslaa** » quelle est la vraie valeur d’une enquête ? Qui sont souvent les coupables ? Et qu’est-ce qu’on en tire comme leçon ?

Quand j’en parlais à un collègue sa réponse narquoise et non moins révélatrice de l’état d’esprit de beaucoup de nos compatriotes a été : « Ah oui enquête ? Je suis sûr que c’est Djinné Maimouna*** qui est la coupable ».

Combien sont-ils aujourd’hui ces sénégalais qui croient encore à la pertinence des enquêtes ? Je devrais dire plutôt à l’usage qui en est faite, car loin de moi l’idée de douter du professionnalisme de nos enquêteurs. On se rappelle ce fameux rapport de l’ancienne présidente de l’OFNAC ; je ne vais pas allonger cet article en vous énumérant une longue liste d’affaires aussi abracadabrantes les unes que les autres et qui n’ont été que déception.

« Le pouvoir absolu corrompt absolument ! » disait l’autre. Au sud du sahara, et bien sûr ailleurs, le chef a toujours raison et ses protégés sont toujours innocents et donc c’est tout naturellement que les coupables sont désignés et bien souvent ils sont bons pour l’échafaud. Ma conviction est que rien n’a changé.

Septembre 2002, le Sénégal fut secoué par l’une des plus tragiques accidents maritimes de l’histoire, le bateau « le joola » sombrait avec dans ses entrailles près de deux milles (2000) passagers, ce jour-là aussi on avait parlé d’enquête, on avait parlé de coupables et on avait surtout parlé d’introspection. Quinze (15) ans après nous n’avons toujours pas évolué dans nos mentalités.

Dans nos différentes tournées, nous disons à nos collègues que nous devons changer nos mentalités, combattre la corruption et le clientélisme et cultiver en nous les valeurs travail et mérite. Mais je suis étonné de voir que bien souvent ceux qui vous réconfortent dans cette idée sont ceux-là même qui dans la minute qui suit  viennent vous demander si vous avez des relations dans tel ou tel autre service pour « régler » un problème. Je suis souvent déçu, en interrogeant les pratiques de ceux qui ont les critiques les plus acerbes contre nos dirigeants, de voir qu’à l’occasion ils peuvent se montrer pires que ceux qu’ils critiquent avec tant de violences. J’ai parfois presque peur de voir avec combien de facilité certains de nos compatriotes peuvent vous engager dans des luttes, furent elles justes et légitimes, pour ensuite vous abandonner dedans.

C’est ça malheureusement le vrai visage de notre pays. Ceux qui ont choisi de donner de leur temps et de leur énergie pour alerter, dénoncer et condamner toutes ces pratiques  dégradantes ont encore du pain sur la planche. Je suis de ceux qui croient que les fuites ne datent pas d’aujourd’hui, elles ont été rapidement portées sur la place publique par la magie des réseaux sociaux. Combien de nos compatriotes occupent aujourd’hui des postes dans l’administration publique sans avoir le profil adéquat ? Combien sont-ils aujourd’hui à bénéficier de bourses d’études sans remplir les conditions ? C’est presque effrayant de voir  à quel point le sénégalais a perdu foi en lui : Il fait de la politique sans conviction, il est prêt à tricher, frauder, trahir pour s’en sortir, il n’a aucun mal à se constituer larbin, griot de service, bouffon ou avocat du diable ; il est résolument convaincu qu’ici, seul paient les choix que vous faites.

Le rideau va tomber sur le BAC 2017 mais qu’est-ce qui nous prouve que d’autres épreuves n’ont pas fuitées. Le doute s’est installé dans nos consciences et aucune garantie ne nous a été donnée qu’il y a justice et équité dans cet affaire. Il faudra assurément trouver le ou les coupables mais nous sommes tous responsables ; et les autorités au premier chef pour n’avoir pas toujours été des exemples.

La constitution de notre pays dispose en son préambule, qui en est partie intégrante : « le peuple du Sénégal souverain proclame… le rejet et l’élimination, sous toutes leurs formes de l’injustice, des inégalités et des discriminations » et sous ce rapport l’Alliance pour la Défense de l’Ecole Publique et des Travailleurs –ADEPT- par ma plume demande une reprise intégrale des épreuves du BAC 2017 au nom des principes sacro-saints de l’équité et de la justice garantis par la loi fondamentale de ce pays.

Cheikh G. DIOP

SGN ADEPT

[email protected]

* Lidienti : Action d’user de relations et de tout autre subterfuge pour arriver à ses fins.

** Maslaa : Attitude consistant à recourir en toutes choses et en tout lieu à la négociation pour surmonter les difficultés.

*** Djinné Maimouna : Démon prétendu responsable des évanouissements récurrents de jeunes filles dans quelques écoles du Sénégal ces dernières années.

Source: SudQuotidien

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